Rencontre avec un frappadingue

Rencontre avec un frappadingue

Une histoire vraie de vraie – d’ailleurs, je ne raconte jamais que des histoires vraies… enfin, presque toujours !

Je rigole quand j’y repense, et pourtant sur le moment je n’étais pas rassurée du tout.
Eh oui, on trouve des frappadingues dans ma bonne petite ville de « proche-province »… comme un peu partout, je crois bien… il ne faut pas se frapper pour cela.

Sortie du train, je rentre tout tranquillement chez nous, un peu perchée comme d’habitude sur le nuage de mes cogitations, quand j’entends un type arriver derrière moi, lancé dans une conversation véhémente.

Je ne bronche pas. Je me suis habituée maintenant à ces gens qui vocifèrent dans le vide. J’ai compris le truc.
Écouteurs vissés sur les oreilles, ils sont au téléphone, coupés de leur entourage mais reliés à leur interlocuteur grâce au kit mains libres qui permet de les agiter tout en discutant ou de les maintenir au creux des poches.

Le type me dépasse et se tourne vers moi en affirmant :
— En plus Sting, c’est un chanteur… ! Et il est anglais !

Moi, persuadée qu’il parle à quelqu’un d’autre, je ne moufte pas.

Mais le type insiste en me dévisageant :
— Oh ? Il est anglais, hein, Sting ? Le chanteur ?

Et là, je vois qu’il n’a pas d’écouteurs et qu’il attend ma réponse. Alors je dis :
— Euh… ben oui, oui !

Et le type continue :
— Mouais, c’est ça, exactement, il est anglais. Que Patricia Kaas, elle est française, elle ! Hein ? … Hein ?

Moi :
— Euh… ben oui, oui !

Le type, de plus en plus fort :
— Mais que elle, elle est vivante, hein ? Elle est toujours vivante, hein, Patricia Kaas ?

Moi :
— Euh… ben oui, oui ! (On aura noté mon sens aigu de la repartie.)

Et j’ajoute, pour compléter le tableau mais surtout rétablir une sorte d’équilibre dont j’ai comme l’impression qu’il est en train de partir en couille :
— Sting aussi, d’ailleurs.

Un très court temps de latence, puis le type éructe :
— Quoi Sting ?

Moi, d’une toute petite voix pas très assurée :
— Ben… Sting aussi, hein, il est toujours vivant.

Alors là, le type me regarde comme si j’étais tombée sur la tête et hurle :
— Sting… ? Mais on s’en fout, de Sting, on s’en fout complètement !!

Et le voilà qui s’éloigne à grandes enjambées en se frappant le front du plat de la main.

Eh bien moi, ça m’a secouée.
Totalement frappadingue, je vous dis.

Morale de l’histoire, s’il faut une morale à tout, c’est qu’on trouve toujours plus frappadingue que soi.
Après tout, ce type avait sa logique à lui, évidente au vu de sa véhémence. J’avais la mienne, qui me paraissait cohérente – cohérente et congruente – enfin, euh, il me semble, hein ? Et apparemment nous n’étions pas du tout sur la même longueur d’onde.
Ça m’arrive tellement souvent…

Dans les jours qui ont suivi je l’ai revu.
Vautré sur un banc au soleil à se chauffer la bedaine. M’a dévisagée d’un air béat mais plutôt calme. Pas l’impression qu’il m’ait reconnue.

Encore un qui parle aux gens qu’il ne connaît pas. Sa maman ne lui aura pas dit que ça pouvait être dangereux.

Pas revu depuis. Peut-être a-t-il modifié le sens de sa tournée ? Ou moi mes horaires ?
Je garde l’œil ouvert.

~ Mai 2016

[Crédit photo : Pixabay]

7 réflexions sur “Rencontre avec un frappadingue

    • Je suis très heureuse que vous ayez écrit cette histoire . je me considère comme une fofolle tout à fait normale et ce genre d’aventure m’est arrivée plusieurs fois ( j’ai 72 ans c’est déjà une belle carrière!) et chaque fois cela me met dans un état de joie pure . Ces cocasseries sont irremplaçables
      merci pour ce récit
      Marie

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