Les rêves nous emmènent où il nous faut aller

Les rêves nous emmènent où il nous faut aller (songez-y…)

5 février 2013 – 5 février 2023 – Eh voilà, dix ans… déjà.

Merci d’avoir accueilli ce 25 janvier ton neveu Pierre que tu aimais tendrement ; les éclats de rire ont dû fuser, là-haut.

~•~

Quelques longues années bien après son décès, j’ai fait un rêve profond, un rêve étrange et pénétrant de ma soeur que j’aime et qui m’aime, et qui était restée étrangement la même… un rêve qui m’a fait beaucoup de bien.

~•~

Les yeux fixés au loin, loin sur la mer immense et des cieux infinis les nuages mouvants, sans me presser je progresse.
Je sais où je vais, tranquillement j’avance.

Le chemin, je le connais, des années auparavant nous y avons perdu puis retrouvé mon petit Pierre, effaré… ça ne s’oublie pas.
C’est un sentier de sable blond tassé comme terre battue. Au milieu serpente une rigole creusée par la pluie, ou peut-être les larmes, par endroits elle contourne le roc veiné qui affleure. De chaque côté jaillissent les taillis, verdoyants, touffus, impénétrables.

Il fait bon, la lande bretonne embaume sous le soleil.
La maison, son jardin dévasté, sans m’arrêter ni regarder je les ai dépassés. Ce qu’ils sont devenus ne me concerne plus, à quoi bon y penser, nos souvenirs suffisent puisqu’ils vivent en moi.

Je suis déjà plus loin, d’ailleurs presque arrivée.
Voici le mur de pierres sèches en partie écroulé, vestige d’un abri vétuste dont il ne reste rien, rien qu’un pan qui retient l’élan vert des broussailles.

Je sais qu’elle sera là.

Assise sur cette large pierre qui fait face à la mer, adossée au muret, elle se tient immobile, les mains de part et d’autre à plat sur le granit. Ses yeux fixés au loin, loin par-delà la lande, scrutent la mer immense et des cieux infinis les nuages mouvants.

Mon cœur tape et cogne et bat mille chamades mais j’ai le temps, j’ai tout mon temps.
Je la regarde et la détaille. Ses cheveux courts, plus blancs que blonds maintenant, auréolent son visage de boucles claires. Elle a bonne mine, très bonne mine et plein de rides nouvelles – les mêmes que les miennes.

Me vient l’envie de rire : elle sait que je suis là, je le vois, sa fossette se creuse. Elle aussi commence à rire, vers moi elle tourne la tête et me regarde et me détaille, son sourire est immense, et ses yeux émouvants débordent d’affection.

Elle saute sur ses pieds, s’étire souplement, pousse un soupir d’aise, me tend les bras puis désigne aussitôt l’horizon, m’invite à l’admirer.

« Je t’attendais, j’étais sûre que tu viendrais. Oh, je suis contente de te voir.
Mais vise un peu ce ciel, cette mer, ces splendeurs inouïes ! Quelle vue ! Où que porte mon regard, devant moi, par-delà la lande qui s’étend, je ne vois que du bleu et ces formes mouvantes, c’est un poème visuel, un régal, un enchantement. Je passe des heures à les contempler, je ne m’en lasse pas.
Tu me diras, je n’ai que ça à faire. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y a pas foule dans les parages. Tu n’as croisé personne, j’imagine. Les premiers temps je me suis baladée, par-ci, par-là, eh bien, c’est surprenant mais il n’y a pas un chat.
Remarque, l’avantage, c’est que je suis tranquille. Ça, pour être tranquille, je suis tranquille. Personne pour m’embêter, me dire ce que j’ai à faire, m’empêcher de respirer, m’interdire de souffler, cracher ses méchancetés.
Et tu vois, ajoute-t-elle ravie en montrant ses pieds nus, personne pour m’obliger à mettre des souliers !
Je suis peinarde, c’est formidable.
Ah, et puis un truc génial aussi, tiens-toi bien : pas besoin de boulotter ! Alors là, je t’assure, ne pas avoir à cuisiner, ça me plaît. Pas besoin de boire non plus… et ça n’est pas plus mal.
Oh oui, je suis contente que tu sois venue me faire un petit coucou.
Tu sais, je ne m’ennuie pas du tout. J’inspire cet air délicieux qui passe dans mes cheveux et me repais de cette vue. La mer, le ciel, ces bleus, ces bleus intenses. De ces splendeurs inouïes je m’emplis le cœur et l’esprit. »

Elle s’est assise à nouveau, adossée au muret.
Ses yeux fixés au loin, loin par-delà la lande, scrutent la mer immense et des cieux infinis les nuages émouvants. Parfaitement immobile, lumineuse, souriante, elle est calme, paisible, détendue.
Je crois qu’elle a trouvé le repos éternel.

~•~

Moi pas encore et j’en suis loin.
Penser à elle ainsi m’apaise, mais tout le temps, tout le temps elle me manque.
Avec maintenant mon fils Pierre qui m’aide avec elle, peut-être un jour saurai-je apprivoiser mon chagrin. Tous les deux sont dans mon cœur ; il s’agit que ce coeur soit joyeux, je ne voudrais pas qu’ils s’y ennuient…

Illustration : « Shakespeare / Tempest » (1875) de John William Waterhouse

[Crédit photo : Laure Chevalier Sommervogel]

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