Ton prénom, Laure

Ton prénom, Laure

C’est une anecdote que je suis un poilichou gênée de raconter mais après tout pourquoi ne le ferais-je pas alors que c’est si porteur et bénéfique – et puis quand il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir, n’est-ce pas, et entre nous ce serait dommage, non ?

Mon Papa m’a dit un jour – j’avais peut-être douze ou treize ans, pas beaucoup plus je pense, car ma plus jeune sœur venait de naître… Peu importe, ce n’est pas l’âge qui joue ici mais bien l’intensité du souvenir. Mon Papa m’a donc dit :

— Tu vois, Laure, eh bien Laure est le prénom féminin que je préfère. Depuis toujours je pensais : « Lorsque j’aurai une fille, ainsi je l’appellerai ». C’est un prénom qui a beaucoup d’allure, un prénom particulièrement élégant. Distingué, même, je trouve. Une femme célèbre l’a porté, ce prénom : Laure de Noves, tu le sais. Alors bien sûr, bien sûr alors, j’aime les prénoms que nous avons donnés à tes trois sœurs, mais Laure est tout de même celui que je préfère. Alors-alors… c’est toi, ma fille aînée, qui le portes.

J’en avais été à la fois confuse et tout emplie de, de dignité, je crois.
Oui, de dignité, de porter ce prénom que mon père préférait, un prénom qu’il trouvait si élégant.
De fierté aussi.
Et cela me fait plaisir d’évoquer ce souvenir-là de mon Papa, un souvenir de plus qui me relie à lui. Par le lien spécial du prénom choisi.

Bien plus jeune, je savais déjà que je portais le prénom de Laure de Noves, poétesse, muse de Pétrarque, célébrée par Victor Hugo.
Chaque fois qu’à Paris Gramp’ nous emmenait, mes sœurs et moi, faire au Luxembourg « le tour des reines », cette vingtaine de statues de femmes illustres qui orne le jardin de part et d’autre du bassin central, je ne me sentais plus de joie lorsque nous arrivions à la hauteur de la ravissante Laure de Noves et je ne manquais jamais de m’exclamer que nous portions le même prénom.

Ensuite Gramp’ nous racontait, comme il le faisait pour chacune des statues, le contexte dans lequel vécurent ces femmes et la raison pour laquelle elles marquèrent leur époque et l’histoire de France par leur rôle, leur vertu ou leur renommée.

Voilà comment on se construit une fragile culture, grâce aux souvenirs qui touchent au cœur.

Pour en revenir aux prénoms, on notera une abondance d’Anne-Laure, Marie-Laure, et toutes les déclinaisons possibles et imaginables, Laureline, Laurie, Laurène, Lauriane, et Laura bien sûr tant sont prisés ceux des prénoms féminins se terminant par a.

Laure, tout simplement, nous ne sommes pas si nombreuses.

Alors bien sûr, bien sûr alors, je l’aime, mon prénom. J’aime aussi qu’ainsi l’on m’appelle, avec souvent cette inflexion caressante, celle qui un instant suspendu fait durer le plaisir.

~ Février 2018


Laure de Noves (1310-134)

Le 6 avril 1327, la jeune Laure, 17 ans, sort de l’église du couvent de Sainte-Claire en Avignon. François Pétrarque, au premier regard, tombe sous son charme.
Dès lors, Laure aux blanches mains sera la chaste inspiratrice du poète. La beauté de Laure, pour Pétrarque, est inséparable de celle de la nature au sein de laquelle elle vit.

Victor Hugo à son tour, pour célébrer Pétrarque, s’en réfère à sa muse (Recueil : Les chants du crépuscule – 1836). Sur la page de garde d’un Canzoniere, il écrit :

Quand d’une aube d’amour mon âme se colore,
Quand je sens ma pensée, ô chaste amant de Laure,
Loin du souffle glacé d’un vulgaire moqueur,
Éclore feuille à feuille au plus profond du cœur,
Je prends ton livre saint qu’un feu céleste embrase,
Où si souvent murmure à côté de l’extase,
La résignation au sourire fatal, […]

La statue de Laure de Noves fait partie des statues des reines ou femmes influentes de France réparties tout autour du bassin central du jardin du Luxembourg à Paris. C’est l’oeuvre d’Auguste Louis Marie Ottin (1811-1890) qui l’a sculptée en 1846.

11 réflexions sur “Ton prénom, Laure

  1. Un prénom effectivement très élégant, à la fois doux et plein de force. Un prénom qui élève et s’élève.
    Notre fille Laure aime beaucoup son prénom et comme toi le porte très bien.
    Marie Astrid

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      • Je suis un peu étonnée car ce tableau évoque les amours de Julien de Médicis pour Simonetta Vespucci, d’après un poème de Poliziano, et surtout la philosophie de Marsile Ficino.
        Mes sources sont Aby Warburg et Erwin Panofsky.
        Cela dit ce tableau reste un grand mystère malgré tout…

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      • Je te remercie pour ces précisions, Monique. Je pense que tes connaissances en matière d’art sont beaucoup plus fiables que les miennes. J’avais certainement trouvé ces informations sur un article concernant Laure de Noves, parce que je ne les ai à l’évidence pas inventées. Mais puisque c’est sujet à caution, je vais supprimer ce passage. Je préfère.
        Merci pour ton apport.

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    • Merci beaucoup Monique, heureuse que ce texte t’ait plu.
      Mes références pour Botticelli ? …J’espère qu’elles sont exactes… Je les avais trouvées en faisant des recherches sur Internet, mais je ne saurais plus te dire où exactement. En général Wikipédia et un ou deux sites plus spécialisés…

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  2. Je remercie, feu mes parents, de m’avoir ainsi prénommée … Non seulement je l’ai toujours trouvé élégant, simple et beau. Ma génération comprenait tant de Laurence ou de Marie-Laure que ce prénom si doux, si rarement porté m’a donné l’envie une fois mère de donner à mes filles des prénoms français tout aussi simples et beaux et puis l’histoire de Sainte laure, chrétienne née à Cordoue et qui est morte en martyre pour avoir refusé d’embrasser l’islam … un hommage à rendre supplémentaire sur de belles personnalités fortes et avec un engagement jusqu’au-boutiste.

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