Passé décomposé
Ne plus rien sentir. Ne plus ressentir. Pas de sentiments. Ni ressentiments.
Laisser tout derrière. Tristesse et colère. Et le manque aussi.
Colère.
Montagnes russes aux âpres cols, les sommets détestables nourrissent la fureur des torrents.
Les torrents qui grondent.
Tristesse.
Sous le barrage érigé, la retenue des larmes produit une eau dormante, le trop plein s’alimente. S’il vient à déborder saura-t-on colmater les digues ?
Diguedilles trop fragiles.
Manque.
Parce que rien n’est fini, il restait tant à faire, c’est presque terminé.
Et, pour l’une d’entre elles, désastreusement foutu.
Ça n’est pas supportable.
Même bien entourée, appréciée et utile, tu sais que tu es seule.
Le passé décomposé rend tout imparfait.
En chœur et de plein accord elles chantaient :
« Il court, il court, le passé, le passé de notre enfance (bis repetita placent), il est passé par ici, il repassera par là ! »
La résonance assourdit quand point la sensation.
Le cœur a ses raisons que la raison ignore, il pulse et bat si fort, tape et cogne, gifle à tour de bras et tape, tape encore et s’affole.
Il court, il court, le passé, le passé de notre enfance, il repasse par ici, passe et repasse en boucle, boucles auburn et boucles d’or, bouclettes folles qui tirebouchonnent.
Et la boucle est bouclée, boucles parfois lissées.
Tout passe, tout lasse et tout lisse, hélas.
Le temps passé passe et repasse et ne nous rattrape pas.
Seule aujourd’hui je conjugue au présent une gamme d’émotions dissonantes pour au futur les décliner, laisser passer ce qui me dépasse, ceux qui me dépassent, ceux qui m’ont laissée, ce qu’ils m’ont laissé.
Sans trépasser ni me lasser, de cette impasse ressurgir, côté soleil repassée. Sans faux plis.
Continuer à être heureuse. Oui, pour deux, c’est promis… dors, dors, maintenant dors.
Et, sur mon cœur bien serrés, nos souvenirs choisis précieusement garder.
Ces souvenirs, je les chéris et les choie, les conjugue et les décline à l’envi. Au-delà, bien au-delà du passé décomposé, jamais je n’oublie le passé compliqué, le plus-qu’imparfait, le présent désabusé, le subjectif à tous les temps, l’impératif conditionné, le participe collaboratif, l’expectatif et le gérondif inusité. Et j’ajoute le futur raisonné.
Août 2015
[Crédit photos : Pixabay]