À coup sûr, saisir la balle au bond
Quand nous étions petites, sept et neuf ans si mes souvenirs sont bons – mais pourquoi seraient-ils mauvais ? –, Guillemette et moi prenions des cours de tennis
Nous étions quatre tout jeunes enfants sur le court. Du même âge, à très peu d’années près. Deux de chaque côté, pour ce jeu-là cette répartition était idéale.
Très souvent nous nous retrouvions, tous les quatre, pendant notre enfance, l’adolescence aussi. À Paris ou à la campagne, parfois au Pyla, puis aux sports d’hiver quand nous fûmes plus âgés. Nos parents étaient déjà amis de longue date.
Ensuite nous nous sommes mariés. Les valeurs ajoutantes surent s’entendre. Ils sont très rares, quand j’y pense, les amis de toujours que nous avons gardés. Pas des cousins mais presque. Des cousins, nous en avions déjà des tripotées. Mais c’est une autre histoire, toute notre histoire en fait.
Revenons à ces cours de tennis que nos parents respectifs ensemble nous faisaient donner.
Le professeur, un type pas aimable et ventripotent, faisait peu d’efforts pour nous impliquer. Il nous montrait vaguement la façon de tenir nos raquettes, nous rappelait les gestes que nous répétions d’abord à vide, puis il se calait dans son fauteuil où il restait vautré pendant tout le cours, se contentant de commenter d’une voix rogue la façon dont nous évoluions.
Se remuer pour des enfants ne valait sûrement pas le coup.
Monsieur Combes. Près d’un demi-siècle après, je n’ai pas oublié son nom.
Quel gros Combes, celui-là.
Deux machines placées de part et d’autre du filet nous lançaient les balles, un coup à gauche puis l’autre à droite, avec une régularité de métronome.
Au bout d’un moment nous changions de place pour travailler alternativement coup droit et revers.
Ma sœur progressait peu, à tous les coups ratait les balles.
Et ce gros Combes de s’énerver et de crier du fond de son fauteuil, sans bouger d’un orteil (un Comble !) :
— Ho, hé ! La petite, là, tu te remues ? Prépare ton coup !
La pauvre se contorsionnait, sans grand résultat.
Tout d’un coup Maman qui observait sa cadette, sa benjamine Sylvine sur les genoux (Raphaëlle n’arriverait, elle, que quelques années après), comprit qu’à coup sûr Guillemette ne comprenait rien. Elle lui souffla de laisser son cou tranquille.
Du coup « la petite » se mit à courir au-devant de la balle.
Le gros Combes, pas du tout dans le coup, n’avait rien noté.
Un vrai boulet.
Bien vite, de nous quatre, Guillemette sut le mieux jouer.
Les boulets qu’elle envoyait, fallait drôlement se gaffer… !
Longtemps elle sut se faire respecter.
Ensuite, bien après, bien après, quand seule elle dût monter au filet, elle était déjà jusqu’à la corde usée.
Mais c’est une autre histoire, toute son histoire en fait.
Transition habile – puisqu’en toutes choses il en faut.
Des transitions et de l’habileté.
Quand j’étais grande (!), à l’agence et dans mon quotidien de « voiture-balai » j’ai passé un temps fou à faire en sorte qu’il n’y ait pas de trous dans la raquette.
Dans une autre vie peut-être étais-je chargée du contrôle qualité dans une usine de fabrication de raquettes, à constamment vérifier la bonne tension des boyaux !
Des boyaux ? Quels boyaux ?
Quand j’étais petite, le cordage des raquettes de tous ceux qui jouaient au tennis autour de moi était en boyau, et les raquettes en bois bien fixées dans un cadre dont on vissait soigneusement les attaches.
Cela, nous avions le droit de le faire.
En revanche, interdiction aaaaabsolue de tripoter le cordage pour ne pas en dérégler la tension. Et les grandes personnes ajoutaient :
— Pas touche, c’est du boyau de chat !
Nous n’avions pas de chat à la maison, mais quand même. Parcourue d’un long frisson – désagréable, celui-là, quand d’autres étaient délicieux – je sentais tout mon dos se tordre.
Tord-boyaux ?
Ah non, ça c’est encore autre chose.
Une autre histoire et d’autres souvenirs.
Quand j’étais petite, on entrait sur un court de tennis (en terre battue, évidemment – qu’il fallait refaire tous les ans) vêtu de blanc des pieds à la tête.
À Pourgent, perchée sur l’énorme pierre moussue sur laquelle ils s’appuyaient tous ensemble pour resserrer les lacets de leurs chaussures de tennis blanches – on ne disait pas basket à l’époque, voyons – j’adorais regarder jouer mes parents, mes oncles et tantes et leurs amis.
Attentive toujours, très attentive, je comparais leurs styles et leurs attitudes, je scrutais leurs morphologies. Au bord de la piscine je faisais de même. Les femmes étaient tellement différentes les unes des autres. Les hommes aussi. Je notais les ressemblances familiales entre les frères et sœurs. Observatrice, toujours très observatrice. Et puis la forme des corps m’a toujours intéressée. Même sous un vêtement elle se devine… ou bien on l’imagine…
Sur le court, je détaillais leurs tenues. Polos et shorts d’un blanc immaculé, tous pratiquement identiques pour ces messieurs, avec le presque incontournable petit crocodile vert qui, à l’époque, n’avait rien d’ostentatoire. Davantage de fantaisie chez ces dames qui arboraient qui de courtes jupettes sur panties à froufrous, qui de plus classiques jupes plissées portées avec des sur-culottes de bon aloi. (Non, ce n’étaient pas des bloomers – les bloomers bleu-marine, c’était pour la gym à Sainte-Marie, encore une autre histoire.) Les hauts variaient aussi de forme, décolletés ronds ou pointus, avec ou sans col, manches ballons ou découpe débardeur.
C’était un vrai défilé de mode. Le blanc de rigueur n’interdisait pas la variété et ça vous avait une allure certaine.
Aujourd’hui, les couleurs sont de mise et tous les vêtements de sport faits de tissu « respirant ».
En d’autres temps il en fut autrement : pensez qu’autrefois les femmes jouaient en robes longues !
Tout évolue. C’est dans l’ordre des choses.
La nostalgie est un doux sentiment.
Je ne suis pas pour autant une adepte du « c’était mieux avant ».
C’était différent, tout simplement.

Robe de tennis, Angleterre 1885 – Toile unie en coton imprimé avec bordure en dentelle de coton
[Crédit images : Pixabay]