Histoire de pelle à tarte
J’étais en plein dans les cartons.
Notre maison s’était vendue en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire.
Je me rappelle à ce propos que j’avais récolté plusieurs réflexions stupides du style : « C’est que vous ne l’avez pas mise assez cher. » Il se trouve de ces gens qui ne peuvent s’empêcher de commenter, quitte à émettre des observations d’une niaiserie sans borne. Ce à quoi je répondais aussi gentiment que je m’y efforçais – oh, je suis gentille, vous savez : « Mais bien sûr, bien sûr, et aujourd’hui on y serait encore ! »
Bref.
Le fait est que j’eus à peine deux mois pour trier, évacuer, choisir de mettre au garde-meubles ou d’emporter avec nous ce que nous avions entassé en un peu plus de dix ans dans… dans une grosse maison avec des dépendances. Et deux mois, quand tu vas tous les jours bosser à Paris depuis ta campagne, ça fait pas bézef. Bon, c’est vrai que j’étais à 4/5e : je ne travaillais pas le vendredi. Enfin, en principe, parce qu’en réalité… Mais c’est une autre histoire, toute mon histoire en fait. Je la raconterai peut-être, plus tard, quand j’aurai vraiment fini de digérer ma quiche. Pour le moment, elle me reste encore un petit peu en travers de la gorge.
Quand je me remémore cet incroyable remue-ménage de déménagement, je m’épate moi-même !! Sans l’ombre d’un doute j’étais bien Laureganisation générale aux manettes, surnom amplement mérité.
Évidemment, le très gros avantage d’avoir dû faire tout ça si vite, c’est que je n’ai guère eu le temps de tergiverser, moi qui suis si indécise. Mais l’inconvénient, puisque toute médaille a son revers, c’est qu’aujourd’hui encore – et trois déménagements plus tard – je cherche tout un tas de trucs, partout, dans mes souvenirs et mes nouveaux placards. Je réfléchis puissamment mais force m’est d’admettre que je n’ai aucune idée de ce que j’ai bien pu en faire. Quant à savoir où ils sont passés, je n’ose même y penser.
Un de ces jours je vais m’exclamer, comme cette amie de ma grand-mère devant ses amies qu’elle avait conviées à prendre le thé :
— C’est extraordinaire, vous savez. J’ai cherché, cherché, incapable de la retrouver… Pourtant, je suis sûûûre que j’ai une pelle à tarte quelque part !
Ce à quoi ma grand-mère, très dignement mais le sourire en coin et l’œil pétillant de malice, a rétorqué :
— Oooooh, ma chère, retirez-la vite, ce doit être extrêmement désagréable !
Cette histoire de pelle à tarte me met toujours en joie, je ne m’en lasse pas.
Ma grand-mère était un sacré numéro.
Les anecdotes familiales de ce style – c’est l’avantage d’avoir compté dans son entourage proche des personnes aussi hautes en couleur – j’en ai des tiroirs et des tiroirs. L’une après l’autre je les en sors. Je parle des anecdotes, voyons ; que mes aïeules reposent en paix !
Car les souvenirs, comme tous ces beaux objets anciens, pour s’en réjouir le cœur et la pensée il faut s’en entourer et les utiliser au quotidien.
[Crédit photo : Laure Chevalier Sommervogel]