Perdus en pleine forêt

Perdus en pleine forêt

Nous passions quelques jours avec mes parents chez des amis, dans leur belle maison de Dordogne d’où nous rayonnions pour visiter les environs.

À pied ou en voiture.

Oui, une belle maison ancienne, trois corps de bâtiments, un toit magnifique, tout en lauze, des détails architecturaux remarquables. Mon père l’avait dessinée, d’ailleurs, avec son aisance habituelle.
Moi aussi, et je m’étais appliquée, mais le résultat que je trouvais plat et enfantin me décevait.
— Enfin, Laure, tu es extraordinaire ! Tu voudrais tout savoir faire sans apprendre. Tu as déjà un très bon coup de crayon. Exerce-toi et ça viendra peu à peu. C’est difficile, les perspectives, et ici il n’en manque pas avec tous ces pans de toiture.

Une bignone s’épanouissait, luxuriante, au-dessus du perron ; c’est de là que je garde une attirance particulière pour cette plante-liane aux voluptueuses grappes de trompettes orangées – bien que je lui préfère la glycine si odorante. C’est là aussi que j’avais découvert, en grimpant, aidée par Papa, sur un mur près duquel poussait ce grand arbre, que les pommes de pins recèlent des perles tout à fait délicieuses que l’on appelle pignes ou pignons.

—•—

Un jour, juste après le déjeuner, nous étions partis nous balader dans la forêt qui jouxtait le grand jardin des amis.
Profonde, la forêt.

Nous marchions, nous marchions. Ma petite sœur et moi commencions à fatiguer – sept et cinq ans, nous n’étions pas bien vieilles – mais vaillamment nous suivions Papa qui avançait hardiment, prenant à droite ou à gauche selon son inspiration… jusqu’au moment où nous sommes tombés sur un parterre d’énoOormes cèpes. Maman a poussé un cri d’admiration que Papa a tempéré en déclarant :
— Eh bien, mes enfants, nous voilà perdus… !

Aussitôt j’ai visualisé le Petit Poucet et compagnie. Maman a vu mon air horrifié – « Laure ? mais il suffit de la regarder pour savoir ce qu’elle pense ! » ; je détestais cette remarque maternelle, pas du tout ravie à l’idée que tout le monde puisse savoir ce que j’avais en tête, mais force m’est de croire qu’elle se justifiait – aussi s’est-elle empressée d’ajouter :
— Ne nous affolons pas, surtout ne nous affolons pas.

Papa a repris :
— Pas d’inquiétude ! J’ai été scout et je sais me repérer dans une forêt. Regardez, les filles : de quel côté la mousse pousse-t-elle sur les arbres ? Au nord ! Donc cela nous permet d’aller toujours dans la même direction, sans tourner en rond comme la plupart des promeneurs inexpérimentés…

J’étais moyennement rassurée.

Maman a ramassé tous les cèpes, les a soigneusement déposés sur des feuilles d’arbre au fond du panier qu’elle avait emporté de chez leurs amis, et nous avons continué à marcher, marcher, marcher. La nuit commençait à tomber, nous ne nous éloignions pas d’une semelle de nos parents et cheminions en silen-en-ceuh.

J’étais pour ma part en train de me demander in petto, en moi-même et dans mon for très intérieur s’il se trouvait encore des loups dans les forêts du Périgord Noir quand nous avons entendu des chiens aboyer.
— Ah ça, c’est bon signe ! s’est exclamé Papa qui depuis un petit moment ne disait plus rien du tout.

Nous avons poursuivi dans cette direction, la forêt s’est éclaircie, nous sommes parvenus à la lisière et, au bout d’une prairie, nous avons débouché dans la cour d’une ferme. Les chiens jappaient de plus belle.

Une lumière s’est allumée, éclairant la façade d’une bâtisse trapue ; une porte s’est ouverte, une grosse voix bourrue a crié très sévèrement :
— Qui va là ? Répondez ou je lâche les fauves !

Papa a crié lui aussi, mais sur un ton aimable :
— Tout va bien. Nous sommes perdus, avec ma femme et mes deux enfants. Pouvez-vous nous aider, je vous prie ?

L’homme s’est radouci :
— Oh, je vois… Rex ! Médor ! Au pied ! Venez donc. Allez, entrez. Y’a du feu. Madame et les p’tites, approchez-vous. Les chiens, au pied ! Du calme !

Maman a prestement retiré son foulard pour le poser sur le dessus du panier, et, alors que j’ouvrais la bouche pour demander à quoi ça servait de faire ça, elle m’a jeté un regard tel que je l’ai aussitôt refermée. Ma bouche. De temps en temps, je sentais bien qu’il valait mieux. En d’autres circonstances trop souvent je parlerais trop vite et il m’en cuirait. Mais c’est une autre histoire, toute mon histoire en fait.

Guilemette et moi nous sommes avancées dans la lumière alors que les deux chiens gémissaient près de leur maître. En réalité ils étaient gentils et obéissants, ces chiens-là, mais ils sentaient terriblement mauvais.

Papa s’est présenté très poliment et nous avec, puis il a expliqué notre situation et a demandé où il serait possible de téléphoner. Le fermier a pris un air étonné et a répondu qu’ici même y z’avaient tout’l’confort moderne. Il a actionné deux fois la manivelle de l’appareil accroché au mur, exactement comme chez Gramp’ et Aya sauf qu’à Pourgent il était installé dans l’entrée et ici à côté de la cheminée, et il a dit à l’opératrice :
— J’voudrais m’mettre en r’lation avec les B. à Belvès. J’ai récupéré des Parisiens qui s’sont perdus, faudrait voir à v’nir les chercher…

Pendant ce temps sa femme soupirait en nous regardant d’un oeil navré :
— Belvès ? Mais c’est pas Dieu possib’… Tout ça qu’elles se sont enquillé, les p’tiotes ? Si c’est pas malheureux, qu’c’est à l’aut’ bout d’la forêt !

—•—

— Enfin, Denis, ce n’est pas raisonnable, cette balade hasardeuse, a reproché Philippe en nous ramenant dans sa grosse DS. Vous auriez pu avoir des ennuis. Nous faire en avoir. Une chance que tout se soit bien passé. Gisèle et moi commencions à sérieusement nous inquiéter de ne pas vous voir revenir.

Papa n’a rien répondu.

De retour chez les amis, Maman a remis le panier de champignons à la cuisinière venue aux nouvelles. La grosse dame au tablier de toile bleue s’est emparée de notre butin pour disparaître aussitôt dans les profondeurs de la maison. Mais le lendemain à la table du déjeuner les parents se sont trouvés tout dépités de ne pas voir paraître la belle fricassée attendue. Maman s’en est enquise, et la cuisinière a grommelé :
— Z’étaient tout plein de vers… Y’avait rien à en faire, d’vot’ cueillette.

—•—

— Tu parles ! rétorquait toujours Maman en rigolant, chaque fois que je réévoquais ce souvenir. Je suis aaaaabsolument peeeeersuadée qu’elle se les était gardés pour ses conserves. Ils étaient superbes, ces cèpes !!

Quoi qu’il en soit, c’était la toute première fois, et la dernière d’ailleurs, que nous nous perdions dans une forêt. C’est tout de même un souvenir sérieux !

Je me rappelle aussi que je disais « Belle Veste » et les parents me reprenaient : non, Belvès.

[Crédit photo : Pixabay]

Une réflexion sur “Perdus en pleine forêt

  1. Houlà, là ! Quelle histoire ! Surtout que Papa était là !!

    Mais ce n’était qu’une forêt régionale, locale, même, peut-être … Tu te rends compte, si ç’avait été l’Amazonie ? …. Je ne sais pas si tu pourrais nous raconter votre aventure aujourd’hui !!!

    Merci pour ce détour en forêt ! J’adore ! les promenades en forêt !

    Aimé par 1 personne

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