Faites du silence
21 juin comme chaque année. Fête de la Musique sous nos fenêtres.
Nous habitons au coeur même de la ville, à l’angle des deux places les plus passantes. Cela offre de multiples avantages que nous apprécions pleinement au quotidien et quelques inconvénients dont nous nous accommodons. Il faut être logique dans la vie et ne pas vouloir tout et son contraire. La proximité des commerces comme de la gare est bien pratique : nous allons et venons presque partout à pied. Les marchés du mercredi et du samedi se tiennent sur la place : pouvoir en bénéficier en voisins immédiats est vraiment un plus. Certes, a contrario nous sommes aux premières loges pour vivre toutes les animations, foires à tout et fêtes commerciales, qu’organisent la municipalité et ses nombreuses associations – j’ai dit vivre et non subir.
Ce soir c’est donc la fête de la musique. J’arrive tout juste, trajet en train oblige, retour de la capitale jusqu’à notre petite ville de proche province.
Rappeurs sur le podium pour chauffer la foule encore clairsemée. Y’a de la place sur la place. « Faites du bruit ! » Fête du bruit ? Leur batteur manque à l’appel, ça fait désordre : « Y’aurait pas un batteur dans la salle ? yo ? yo ? » s’égosille en vain le chanteur.
Aux rappeurs sans batteur succède un autre groupe.
Trois accords de guitare, je dresse une oreille attentive. « Knockin’ On Heaven’s Door ». Aaaaah ?? Je risque un œil par la fenêtre : des vieux. La quarantaine bien tassée, ce n’est pas dit qu’ils tiennent longtemps. Peut-être un peu plus toutefois que les rappeurs, et ça n’est pas moi qui m’en plaindrai. Suit « Losing My Religion »… ma foi ? massacré, et c’est dommage, j’aime teeeeellement cette chanson. On enchaîne sur « Stand By Me »… but I won’t cry. Déboule « Honky Tonk Women », je commence à tirer la langue. Mais non, pas de quoi s’enflamer. Puis « Every Breath You Take ». Éclectiques, les gars, c’est certain, ça ne manque pas d’airs que je connais tous par cœur. Mais là, y’a comme un souffle, ils poussent la chansonnette dans son fauteuil roulant.
Ah ! Maintenant c’est du trip-hop jazzy. Je ne déteste pas. Loin de là. Le fait est que tout m’intéresse, j’apprécie tous les styles… pour autant que ce soit harmonieux et que le rythme soit bon, et – disons-le, je l’assume – que la musique ne soit pas trop plouc. Apparté : un jour où sous nos fenêtres se déroulait la Foire aux Cerises, pour contrer les flonflons de l’orchestre bavarois se mêlant gaiement au cauchemardesque répertoire dansedescanardesque, il a fallu que dans l’urgence et la nécessité je ninasimonise tout mon intérieur ! Fin de l’apparté.
La Fête de la Musique se poursuit au fur et â mesure que s’avance la soirée, nous décidons toutefois de nous coucher. À cette époque mon namoureux et moi nous levons à 5h du mat’ avec frissons pour aller prendre notre train-train quotidien… Transhumance humaine que tant connaissent. Ici j’aurais pu écrire subissent. Mais c’est une autre histoire, toute notre histoire en fait.
— Dis-moi, mon chéri…
— … tout ce que tu veux, ma chérie…
— … non mais sérieusement, ce bruit tout de même… Les fenêtres sont ouvertes là-haut, non ?
— Oh, mon petit coeur, je viens d’aller vérifier. Elles sont fermées… As-tu des boules quiès en rab ?
Les minutes s’égrènent sur l’écran du réveil digital. 23h30. Tout d’un coup la musique cesse. Aaaaaaah, ça fait du biiiiiiiien quand ça s’arrête !!
Les badauds jouent les prolongations. Éclats vocaux des groupes qui se séparent, glapissements de gamines pincées, rires agricoles mal cultivés. Rugissements des moteurs, claquements des portières, crissement des roues sur les pavés poudrés de poussière grise.
Les rues peu à peu se sont vidées.
Quelques fêtards attardés ont encore shooté un moment dans les canettes hâtivement vidées puis, sifflant leurs chiens étiques, ils se sont éloignés.
Alors, dans un fracas muet, l’engourdissement du sommeil attendu a drapé la ville pour une nuit écourtée.
Fête du silence.
~ 22 juin 2017
[Crédit photo : Pixabay]
Je ris en te lisant .. Merci 😉
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