Baux-de-Provence et papillons

Baux-de-Provence et papillons…

Lors d’un de nos voyages vers les Saintes-Maries-de-la-Mer nous nous arrêtons, comme Papa adore le faire, pour un pique-nique improvisé.

Enfin… improvisé, ça ne l’est jamais vraiment puisqu’il y a tout un rituel à observer.

Trouver un endroit isolé de la foule, si possible arboré.
De prime abord Papa préfère les grands volumes et les dégagements – espace réception, cuisine et dépendances.

Au préalable il a très certainement repéré les sites à visiter.
Guide vert et vive Michelin !

Aux alentours de Saint-Rémy-de-Provence, il nous conduit sur l’un des emplacements d’où l’on peut admirer l’extraordinaire panorama qu’offrent les Baux-de-Provence.
À l’époque, milieu des années soixante, c’est encore relativement peu touristique.

Il gare son auto (est-ce déjà la première de la série des R16 ?), déplie la carte, désigne aussitôt le chemin sur lequel nous nous engageons.

Sur notre gauche, des ruines, imposantes.
Papa les commente, les date et les situe : « Les filles, regardez, voilà ce que l’on appelle un aqueduc ! »
Il nous explique le circuit de l’eau à l’époque des Romains.

Ces histoires, je les ai déjà entendues, ou lues, je ne sais plus. Peut-être Gramp’ me l’a-t-il déjà raconté mais je connais ce mot et n’ai pas envie d’écouter.

Je préfère courir, Guillemette sur mes talons, après deux papillons. Deux papillons bleus qui volètent en avant. Ces papillons qu’on trouve partout dans les champs, nous les dépassons puis les laissons nous rattraper.
Guillemette est enchantée : sûrement nous les avons apprivoisés.

Je me rappelle tous les détails, j’ai tout enregistré de ce moment.
Les pierres éclatantes de blancheur sous le soleil, l’élégance des voûtes antiques, la luxuriance de la végétation.

Aujourd’hui encore, je ferme les yeux, tout est là, précis, comme un instantané sous mes paupières serrées.

Nous voilà arrivés sur un promontoire herbeux.

Au sol Maman déploie la nappe, une nappe d’un épais coton blanc avec des traits bleu clair sur le pourtour.
Cette nappe-là aussi a marqué mon souvenir : une de ces nappes anciennes qui viennent des grands-mères, du bon tissu des trousseaux de familles qui fera plusieurs générations pour finir en torchons (ourlés, les torchons), une nappe rustique que plus tard à Lannemartin elle utilisera pour la table du jardin.

Assise, ses longues jambes brunes ramenées sur le côté, elle sort le contenu du panier, s’affaire à la préparation des sandwiches tout en s’assurant que le bébé qui carapate autour d’elle n’avale pas de fourmis – c’est une petite sœur, une troisième fille, qui nous est arrivée l’été dernier.

Par instants elle s’arrête, son regard s’attarde sur nous, elle replace une mèche derrière son oreille et son sourire est lumineux.

Papa, enthousiaste, si enthousiaste lorsqu’en voyage il nous fait découvrir des détails intéressants de l’architecture locale ou des perspectives environnantes, Papa nous appelle près de lui, ses deux filles aînées, et d’un large geste du bras souligne la vue exceptionnelle qui s’étend devant nous.

Il nous explique qu’ici, comme dans certains paysages qu’il a découverts en Algérie pendant la guerre – un temps d’arrêt empli d’émotion contenue, toujours, lorsqu’il prononce ces mots, puis il continue – un phénomène d’optique rare fait qu’on n’arrive pas à évaluer la profondeur du relief.
Difficile de savoir si les éléments des premiers plans et des suivants sont proches de quelques mètres ou beaucoup plus éloignés.

« C’est très particulier, les filles, très caractéristique, insiste notre père. Regardez bien : l’œil ne peut accommoder et se perd, sans repères. Regardez et gardez ce paysage dans votre mémoire, vous n’en verrez pas souvent de pareil ! »

Je viens d’avoir sept ans.
Ce souvenir s’est ancré dans ma mémoire et dans mon cœur, calligraphié à l’encre bleu-royal de ces années-là.

Souvent j’ai repensé à l’émotion de mon père devant ces amas rocheux, sous ce ciel lumineux, tellement lumineux.
Seul le nom du site s’était envolé.

Il est revenu, par un de ces hasards magiques que l’on ne sait nommer, se poser au coin de mon esprit via ces photos qui, au premier regard, me furent familières.

Juin 2017

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© photographies Nathan Gil

4 réflexions sur “Baux-de-Provence et papillons

  1. Mon père ne parlait jamais de l Algérie ni de l Indochine qu il avait vécus. Je n ai pas découvert les Baux de Provence avec lui mais les châteaux de la Loire … qu il avait adoré relier à grande allure à bord de sa toute neuve Ondine Gordini. Et voilà, pour moi la grandeur de la Renaissance reste liée aux prouesses d un moteur automobile ..

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