Ce qu’on entend par là…

Ce qu’on entend par là…

Je n’entends pas très bien et ne ne m’en cache guère : ce n’est pas une tare dont il faille avoir honte. Et pourtant le fait est que les gens comprennent mal que je ne les comprenne pas.

Lors d’une conversation, même très attentive je ne suis jamais sûre d’avoir parfaitement compris ce qu’il vient de se dire. Diverses interprétations naissent dans mon esprit, je file mes hypothèses et perds ainsi le fil, un fil parfois ténu.

J’entends mal et ne vise pas mieux : si je pose une question, elle glisse et tombe à plat, à côté de la plaque.
Question d’équilibre ?
D’oreille interne ?
Cela passe l’entendement.

Au vol souvent je saisis une phrase au sens inattendu. Étonnée, je répète mot pour mot ce que j’ai entendu. Certains rigolent, qui m’appellent Professeur Tournesol. Mais j’en connais que cela exaspère et qui vitupèrent : « Enfin, tout de même, tu pourrais peut-être faire un effort pour rrrréfléchir et ajuster, non ? »
Réfléchir ? Ah ! Comment dire… certes, certes, il faudrait que j’y pense. Il est de ces réflexions, non, pardon, remarques dont je préfère rire – rire, toujours rire – plutôt que d’en pleurer.
Ajuster ? Oh ! Je crains d’avoir tout faux.
Et pour ce qui est des efforts, j’en fais déjà dans ma vie, les amis, je ne suis que ce que je suis, mes chéris.

Et l’ennui ? Devrais-je vous faire entendre que vos conversations parfois m’ennuient ? Quand ce que je crois avoir entendu fait sauter les verrous, libère mon imagination qui divague aussitôt, loin, très loin d’une réalité morne qui peine à me captiver.

… et je rêvasse… et j’extravagapole… et j’écris dans ma tête, activité captivante qui captive mes capacités d’attention, à raison ou à tort… j’ai besoin de ressort et j’ai besoin d’ardeur… les idées défilent, s’enfilent et se défilent… je suis une midinette avec mon cœur et mes bouclettes, tristounette à mes heures, moi qui aime tant rire… mais je donne le change parce qu’on me le rend bien… docile le matin puis grande fille sage, juste après mes lunettes je chausse mes… mes z’encornets de frites, hoho… pour mieux percevoir comme d’un fond sous-marin l’étrange rumeur du monde… un monde qui me lasse comme une rime passe… aux langueurs qui m’enlacent… y penser me délasse… et m’agace et…

— Ohé ? Ohé ? Tu réponds quand on te parle ?
— Pardon, je suis désolée, je n’ai pas entendu.
— Mais enfin, tu nous écoutes ou tu rêves ?

Défauts d’écoute quand l’ouïe défaille. Fréquentes errances mentales ou rêveries éveillées tant ma pensée je n’arrive à canaliser.

Deux exemples que j’ai gardés en mémoire…

Le premier remonte à 2016, à l’époque où je vivais au cœur d’une petite ville de « proche province », selon cette mienne désignation qui s’oppose à « lointaine banlieue ». (En réalité, la distinction se fait non par la distance kilométrique mais par la desserte en termes de transports en commun… mais je digresse et je m’égare, de triage, bien entendu).

Lorsqu’une voisine devant chez moi rencontrée, après un bout de sa vie raconté, débris dont je ne retiendrai que des bribes, m’annonce qu’elle va faire un petit tour sur le marché (marché qui s’étend devant nous sur les deux places qui jouxtent la maison) et que, charmée, je m’exclame « un petit ours sur le marché ? mais où ça ? j’irais bien avec vous »,  aussitôt je vois se peindre une surprise teintée de consternation sur le visage de mon interlocutrice interloquée.
Je commence à être rodée au truc aussi je m’empresse d’ajouter en désignant mes oreilles : « Ah, je vous prie de bien vouloir m’excuser, sûrement j’ai mal entendu ce que vous me disiez. Pourriez-vous répéter, s’il vous plaît ? »
Cela rattrape le coup.
En général.
Sinon… eh bien, tant pis si j’ai l’air perchée.
Et, ma foi, tant pis tout pareil si, mes excuses dûment présentées, cette personne de ma méprise reste offusquée.

Je n’entends pas bien, vous dis-je, et il est tant de domaines auxquels je n’entends rien. Et voici qu’arrive le deuxième exemple qu’ici je raconterai. Un souvenir de mon époque active. Je n’avais pas encore été… arrêtée de travailler. « Vous avez une valeur ajoutée évidente, mais pas évidente justement à insérer dans la nouvelle organisation », me suis-je entendu dire trois ans après l’intégration de mon agence dans le groupe, intégration à laquelle j’avais plus que contribué. Mais c’est une autre histoire, toute mon histoire en fait.

Un jour, donc, ma collaboratrice préférée – on s’entendait si bien ! – m’assure qu’on peut très facilement programmer une réunion par Skype, elle saura organiser cela. Cette réunion s’annonce chronophage, non suivie d’effets, tout pour plaire en effet, c’est donc peu dire que la logistique me barbe. Là, ma raison disjoncte, fatigue ou lassitude, en lieu et place de « programmer une réunion par Skype » j’entends « programmer un réveillon pascal ». Je poursuis ma réflexion in petto, en moi-même et dans mon for très intérieur. Un réveillon pour Pâques ? … on n’a pas que ça à faire, haha… mais, après tout, pourquoi pas ? … voilà qui nous changerait, bousculerait les traditions établies, réveillerait les populations attablées, surtout si l’on danse jusqu’au petit matin pour embrayer dans la foulée sur une nouvelle journée de taf… lendemains fatigants, mais qu’importe… j’avais, quoi, vingt, vingt-deux, vingt-cinq ans ? … on rigolait tellement…
Et, de fil en aiguille, je perds le fil de l’organisation de cette réunion sans fil dont je ne saurais me défiler. Un poilichou gênée mais surtout amusée : c’est sûr et certain, les explications sur Skype, je ne les ai pas entendues puisqu’il était entendu que je n’aurais pas à m’en charger.

Pour bien entendre, encore faut-il trouver de l’intérêt à ce que l’on écoute.

À bon entendeur, salut !

Quant à la photo que j’ai ici choisie, ceux qui s’y entendent en matière de jardinage auront bien entendu reconnu ces plantes que l’on appelle… oreilles d’ours ! Enfin, on les appelle ainsi mais il n’est pas dit qu’elles répondent. On les nomme aussi Épiaire de Byzance, Stachys byzantina, ou Stachys lanata. Ce sont des vivaces qui forment de jolis coussins gris argenté, d’une couleur et d’une texture un peu feutrées qui pourraient bien assourdir les aigus et lisser les aspérités.

Juillet 2017

Illustration extraite d’une planche de Tintin (Hergé)

Crédit photo : Pixabay

2 réflexions sur “Ce qu’on entend par là…

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