Cri primal

Cri primal

Ou : Le jour où je me suis fait traiter de p’tite connasse

Un récit très cher à mon coeur. Voilà… il m’arrive de me surprendre. Et vous, dans quel contexte vous surprenez-vous ?

Souvenir vieux d’un peu plus de trente ans qui – lui – n’a pas pris une ride…

Je suis une toute jeune maman. Mon bébé resplendissant, tous les jours je le promène dans une petite poussette métallique, déjà vintage à l’époque, qui se replie en Z. La nacelle est de toile plastifiée bleu marine et permet de placer son enfant face à soi.
Je préfère cette configuration à celle des poussettes-cannes qui dans ces années-là ont déjà envahi le marché de la puériculture, où l’occupant tourne le dos à celle ou celui qui le pousse.

Deux digressions à ce stade.
La première : dans le milieu des années 80 c’est encore en très grande majorité nous, les mères, qui poussons nos enfants, dans tous les sens du terme. Cette proportion (propension ?) a évolué et l’on peut s’en féliciter.
La seconde : les poussettes-cannes d’aujourd’hui me paraissent de vraies 4×4, les nôtres tenaient plutôt de simples 2CV.

Chez mes parents à la campagne j’ai laissé l’énorme Silver Cross, la rolls des landaus qui accueillit successivement deux générations de nos bébés familiaux. Maman s’en est étonnée : « C’est tout de même infiiiiiniment plus confortable que cette petite poussette de rien du tout ! Enfin, tu fais comme tu veux, ma chérie.
— Oui, Maman, je te remercie. »

À Paris j’ai besoin d’une poussette légère et maniable pour pouvoir longer les trottoirs et dans les rues encombrées me faufiler.

Car il s’agit bien de se faufiler.

Fin d’après-midi ensoleillée.

Sortant de l’ombre arborée de la paisible villa des Ternes où j’ai promené mon bébé, je cherche à traverser l’avenue.
Embouteillée, l’avenue. Le trafic se fait par à-coups, les moteurs grondent, au volant les conducteurs sont à cran, les klaxons résonnent. Pas de feu sur le passage piéton qui se fait en deux temps.
J’attends patiemment.
Un de ces cars gigantesques, plus haut que large, s’arrête à mon niveau, le chauffeur de la tête me fait un signe cordial. Je souris et je m’avance.
À ce moment précis s’intercale une Mini.
Je poursuis sur ma lancée, passe devant le car puis me faufile dans l’espace étroit entre le car et la Mini, contourne celle-ci qui s’est arrêtée en plein sur les bandes blanches.
Sûre de mon bon droit maternel, je manie la poussette comme d’autres projettent en avant leur ventre rebondi. Mon bébé, tout sourire et fossettes creusées, le nez dans les gaz d’échappement, se trémousse en me contemplant, c’est un joyeux tempérament.
Je remonte de l’autre côté de la Mini pour gagner sur le passage piéton l’espace entre les deux plots.

La conductrice, une énervée d’au-moins trente-cinq balais, jaillit hors de son auto et m’apostrophe, la main brandie : « Dis donc, toi, là, hein, la p’tite connasse, j’t’y prends à rayer ma bagnole avec ta saloperie de poussette ! Tu veux qu’j’te colle une baffe ? »

Suffoquée d’indignation, je m’accroche de toutes mes forces à la poignée de ma saloperie de poussette, prends une grande inspiration et m’entends beugler à pleins poumons : « Viens-y donc, hé, rrrrradasse ! »

Très digne, je lui tourne le dos et traverse, la tête haute.
Mon cœur cogne à tout rompre, mes oreilles sifflent.
Dans un silence assourdissant l’écho de mon hurlement roule sur les autos brusquement arrêtées, rebondit sur les carrosseries ahuries, court jusqu’à la place des Ternes, en fait le tour et me revient, encore amplifié. De stupeur les moteurs se sont tus, les passants sidérés se sont figés. J’ai le temps de me demander, moi qui suis si bien élevée (!), dans quel pli reptilien de mon cerveau limbique j’ai pu aller chercher cette injure inouïe que jamais, je le jure – on ne dit pas je jure, on dit je vous assure – dans mon entourage je n’ai entendu proférer.
Puis je reprends mes esprits, les sons reviennent à mon ouïe avec, au-dessus des vrombissements ambiants, le gazouillis ravi de mon bébé chéri, mon heureux réjoui qui se trémousse et se tortille et se tord de rire.

Depuis cet événement, souvent, je le reconnais il m’est arrivé de hurler, tempêter, menacer, vociférer, vitupérer, mais jamais, plus jamais ce cri primal et maternel venu de mes entrailles : pas touche à ma marmaille !

Addendum, pour ceux qui seraient arrivés jusqu’ici et je les en remercie :

Ce texte, je l’ai écrit il y a quelques années seulement, je commençais tout juste à publier mes mini-nouvelles sur ma page Facebook. Aujourd’hui je me rends compte que je suis capable de la même violence – dans l’intention, dans l’intention – vis-à-vis des personnes gratuitement (méchamment ?) critiques qui s’en prennent à mes petits bouts d’écrits, infichues de lire entre les lignes, de comprendre de quoi il est question et ce que j’exprime. Mes petits bouts d’écrits sont mes bébés ; en les attaquant, c’est moi que l’on blesse. Très directement. Ce ne sont que des histoires ? Toutes mes histoires en fait ! Oh, ce n’était qu’un apparté. Comprenne qui voudra, comprenne qui pourra.

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[Credit image : Pixabay]

2 réflexions sur “Cri primal

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