Autour de mon porte-monnaie
Quand nous étions petites et que nous insistions, Maman finissait souvent par céder :
— Bon, écoutez, ça suffit ; on croirait deux taons (… et moi je pensais toujours qu’elle allait ajouter « trois mouvements »). D’accord-d’accord et puis finissons-en. Vous pouvez prendre, euh… un franc dans mon porte-monnaie.
Un franc, c’était déjà une somme ! Pour aller s’acheter des Carambar ou un Aggie chez le p’tit monsieur de la librairie-papeterie de la rue Madeleine-Michelis, c’était bien ! Plus que bien !
Qui se rappelle aujourd’hui ce qu’était un Aggie ?
Et les Lili alors ?
Mais jamais, ô non, jamais-jamais de Malabar ni de Pif Gadget. Ah ça… les Malabar et les Pif Gadget étaient aaabsolument interdits de séjour à la maison. Tant pis, moi je m’en fichais : je me rattrapais chez Nannie et Grand-Papa, avec Steph’.
Mais c’est une autre histoire, toute notre histoire en fait.
Et nous deux, Guillemette et moi, de nous exclamer :
— Oh, meeerci Maman ! Et… il est où, ton porte-monnaie ?
— Eh bien enfin voyons : dans mon sac, évidemment !
— Et… il est où, ton sac ?
Il faut à ce stade préciser que le sac de Maman pouvait se trouver à peu près n’importe où dans l’appartement, mais rarement deux fois de suite au même endroit.
Et la réponse fusait immanquablement :
— Eh bien… autour de mon porte-monnaie, évidemment !
Chez moi, maintenant que c’est moi qui décide – non mais ! –, c’est du style « une place pour chaque chose et chaque chose à sa place », comme on dit dans la Marine.
Encore heureux, sinon comment m’y retrouverais-je ?
Parce que moi, attention, je vous préviens tout de suite : je ne suuupporte pas qu’on touche à mes affaires, et moi, émoi, j’ai une saiiinte horreur des changements – surtout de dernière minute, à la va-comme-je-te-pousse… oh, dites, eh, ça va bien, là, tirez pas, derrière !
Je crois savoir pourquoi. Besoin de repères fixes et de précis sillons pour gérer les mots sillons.
Mais c’est une autre histoire, toute mon histoire en fait.
Photo : © Shirley Baker — England, 1960’s