La dune du Pyla *
Escaladée en courant derrière Guillemette et Robin, en 1980 et quelques enjambées.
C’était un pari. J’ai cru en crever.
Forcément.
Danser pendant des heures sans m’essouffler, je savais et j’adorais, question de rythme et de musique. D’accord parfait avec mes cavaliers, aussi.
Mais l’exploit physique en soi – ni même en coton – n’a jamais été mon truc.
Nous hurlions « Quand t’es dans le désert depuis trop longtemps nan-nan-nan ».
Alors ça coupait la respiration. En plus des jambes. Forcément.
C’est cette année-là qu’ils faillirent m’abandonner sur l’île aux Oiseaux.
Jamais ils ne surent me persuader du contraire bien que par la suite souvent nous réabordâmes ce sujet, sensible s’il en fut, mais toujours en rigolant.
Ces saligauds, tout de même… Rien que de repenser à la scène, j’en ai le palpitant qui s’emballe !
Nous marchions dans la vase et moi, ça me dégoûtait. C’est vrai, on ne sait jamais ce qui peut vous passer entre les doigts de pieds, dans le genre sangsue ou je-ne-sais-quoi… oulala pouark.
Alors je râlais comme un pou. Un pou des sables. Forcément.
Du coup ça les emmerdait. Forcément.
Rien de beaucoup plus grave.
Je les ai vus soupirer et échanger un de ces coups d’œil. J’ai cru, mais vraiment-vraiment cru qu’ils allaient se tailler sans moi. Je suis sûre, mais sûre, sûre et certaine, qu’ils y ont pensé. Forcément.
Une intuition pareille, c’est fulgurant.
Ça m’a laissée presque exsangue, le cœur au bord des lèvres. Au bord de l’insolation peut-être aussi.
Bon enfin bref, je n’étais pas rassurée, mais pas rassurée du tout.
Alors je l’ai bouclée – non pas ma chevelure qui l’est suffisamment, mais ma grande gueule évidemment – et j’ai cavalé derrière eux pour rester à leur hauteur.
Nous ne nous disputions pas souvent, quand j’y songe, ni enfants ni adulescents.
Je peine à retrouver le souvenir de quelques rares bagarres. Il y en eut. Et des clashs aussi. Mais pas tant, finalement.
Bien sûr, le coup du fer à repasser traversant la pièce en vol plané, je le raconterai. Des années après je l’avais rebaptisé fer à repasser du bon côté de la vie – en l’occurrence, au vu des circonstances, ça avait du sens.
Mais jamais-jamais nous ne restions fâchés plus d’une demi-journée. Oh, et encore, quand je dis une demi-journée, parfois même cinq minutes suffisaient. Un clin d’œil entendu, sourcil levé, la narine en mouvement, et hop, c’était reparti pour les fous rires. Forcément.
Enfin, sauf à la fin.
Forcément. Eh oui… forcément.
Mais c’est une autre histoire, toute notre histoire en fait.
Nous préférions de beaucoup nous marrer.
Et pour rigoler, oh pour rigoler, ça on peut le dire, on rigolait bien.
Forcément.
Bien, bien avant – nous avions une dizaine d’années et c’était sans Robin qui ne nous rejoindrait que bien, bien après – en impro sur le sable du banc d’Arguin, avec Olive et Cri, et Guillemette évidemment, on se la jouait Laurence d’Arabie.
Peut-être était-ce une autre référence cinématographique. Je ne sais plus.
Toujours des histoires de désert, quoi qu’il en soit, de pauvres hères abandonnés derrière soi…
— Nooon, nooon, je ne saurais z’avancer plus loin. Aaaargh, je me meurs, je ne pppppuis faire un pas de plus…
Puis c’était au tour du suivant de s’étaler de tout son long dans le sable brûlant, les bras en croix, et de hoqueter :
— Laissez-moi, mes amis, continuez sans moi, je vous en conjure, je n’en pppppuis plus.
Nous trimbalions nos épuisettes, l’air épuisé, sous le soleil exactement, et puipuisions à qui mieux-mieux. C’était à qui singerait l’agonie la plus démonstrative et la plus convaincante.
Nous trouvions cela très drôle. Follement divertissant. Évidemment.
Quant à mourir en vrai un jour ? Si nous y pensions ? Mais non, voyons.
Ou bien dans très-très longtemps, très-très vieux, dans notre sommeil.
Comme tout le monde, quoi.
Nous étions jeunes.
Je le suis nettement moins aujourd’hui.
Les rangs se sont singulièrement éclaircis.
Mais moi, moi j’aime toujours autant rigoler. Alors je le fais pour deux, tous les jours. Et souvent même pour trois.
Tant il est anormal qu’eux ne soient plus là.
Mes souvenirs affluent à flux tendus, gonflés, pleins d’éclats.
De rire bien sûr.
Forcément…
PS : Je le précise, pour ceux qui s’en étonneraient, les répétitions chez moi sont toujours volontaires. Toujours. Certains viendront me dire qu’elles alourdissent le texte, je n’en ai cure. Ceux qui m’aiment ou m’apprécient, moi et mes petits écrits, en ont pris leur parti, ils savent bien que je n’en fais jamais qu’à mon coeur. Je me répépète – mais oui – autant que je me remémémoramore.
~•~
* Oui, je sais, je sais, on écrit dune du Pilat… mais je l’ai découvert teeeeeellement tard que dans ma tête c’est et ça reste Pyla comme le nom de la petite ville balnéaire où se trouvait la maison de nos amis.
On rappellera utilement que la dune du Pilat, située en bordure du massif forestier des Landes de Gascogne, sur la côte d’Argent, à l’entrée du bassin d’Arcachon, en France, est la plus haute dune d’Europe.
Juillet 2016
[Crédit photo : Laure Chevalier Sommervogel]
[Crédit photos : Pixabay]
Avec le rire , on communique mieux que par le rideau des larmes . Mais on peut aussi pleurer de rire et là, c’est vrai un torrent de bonheur . Bizzz
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Oh oui, ça coule de source !
Belle journée ensoleillée ☀️
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Ah oui, moi aussi j ai cru en crever de cette ascension : » Aucune bête au monde .. »
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😂 … la pente est raide, assurément !
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