Vous m’en mettrez six paires

Vous m’en mettrez six paires

ou De l’ingénuité…

Ce matin sur le marché, à l’étal des fruits et légumes, je désigne un cageot de belles prunes violettes et demande un kilo de quetsches.

— Ah non, c’est fini, les quetsches, me répond la maraîchère qui est une marrante. Ça, c’est de la prune… euh… de la prune de monsieur.

Et moi, moi qui ne connais pas cette appellation sinon ça n’aurait pas été drôle, avec cette spontanéité irréfléchie que l’on qualifie souvent de naïveté rafraîchissante (ce qui a d’ailleurs le don de m’exaspérer : je ne suis pas un smoothie !) – oui, cette spontanéité, comment la désigner autrement, sinon par un autre terme commençant par la même lettre et se terminant par la même sonorité ? mais c’est une autre histoire, toute mon histoire en fait… – avec cette foutue spontanéité qui me caractérise, me voilà qui m’exclame, que dis-je, qui claironne :

— Des prunes de monsieur ? Bah, qu’est-ce que c’est que ça, des prunes de monsieur ?

Toute la queue, si je puis en l’occurrence user de ce terme, commence à se gondoler et la maraîchère n’est pas en reste.
C’est bon, j’ai compris. Et pour me joindre à l’hilarité générale, du coup je trompette :

— Oh ? alors, vous m’en mettrez six paires !!

Éclats de rire en cascades…
Ah mais c’est qu’on rigole bien sur le marché, le samedi matin.

Elle m’amuse, Isabelle (elle s’appelle Isabelle), si vous saviez comme elle m’amuse ! Elle a cette gouaille tout en retenue assortie d’une très grande gentillesse qui a fait naître entre nous une réelle complicité, une connivence dans le plaisir de plaisanter, je pense que l’on peut nommer cela ainsi.

Un exemple ? Chaque fois que je lui demande un concombre, elle le choisit très soigneusement – comme tous les produits qu’elle sélectionne pour nous – puis me tend un magnifique spécimen, en me disant sur un ton… euh… pénétré, que celui-ci devrait convenir. Moi, je ne peux m’empêcher de pouffer intérieurement, ma fossette se creuse, et je vois bien à son air de ne pas y toucher qu’elle aussi tente de garder son sérieux.

Toutes les deux nous avons, non pas l’esprit mal placé – pourquoi cette connotation négative ? – parlons plutôt d’esprit bien orienté, je préfère de beaucoup cette formulation.

De fait, de retour à la maison, je sors les prunes du sachet… et je m’esclaffe. La marchande de primeurs, cette coquine, les a fort bien choisies !

~ Septembre 2015

Photo : Laure Chevalier Sommervogel

 

[Crédit photo de couverture : Pixabay]

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