Lâcher-prise materno-filial

Lâcher-prise materno-filial

Qu’elle est rapide, la fuite du temps qui s’écoule et file et secoue les fils de mes souvenirs. Pour ce qui est de secouer mes fils, cela m’amuse aujourd’hui d’en évoquer quelques-uns – époque révolu-u-euh qui ne reviendra plus – oh, juste pour un petit coup de nostalgie. Sans que j’aie pour autant envie de les revivre, ces moments-là. D’autant plus que j’ai parfois cru en crever.
Rien de moins.
Et je ne parle pas des accouchements, encore que certains – mais pas ceux dont on parle habituellement – durèrent bien plus longtemps que l’on eût pu l’imaginer.
Exagérer, moi ?
Allons-allons, ça n’est pas mon genre.
Pas du tout, même.


Heures familiales paisibles, enfin.
Son père et celui de mes fils rentré au bercail pour le week-end sont tous deux là-haut, captivés par un match de je-ne-sais-quoi…
Hockey, peut-être – celui qui me restait encore ce matin en travers de la gorge ?

Une fois calmées les affres et inquiétudes maternelles, peu savoureux mélange d’angoisse et de colère rentrées, je me remémore l’échange qui s’est produit un peu plus tôt dans la journée avec mon fauteur de troubles préféré. Quand faut que ça sorte, faut que ça sorte. Même pas houleuse, l’explication de gravure ; avec celui-ci presque jamais il n’y eut de cris ni de hurlements. Avec les autres non plus, d’ailleurs. L’adolescence de mes fils, que je redoutais tant – pas mes fils, voyons, je parle de leur adolescence ! – se sera assez sereinement passée, tout bien considéré. L’adulescence fut plus compliquée, pour des raisons que je n’expliciterai pas ici. Car c’est une autre histoire, toute notre histoire en fait. Période difficultueuse aujourd’hui surmontée et je n’entrerai pas dans des détails que le temps a fini par estomper.

Mais ce jour-là, ah ce jour-là… nous étions en ppppplein dedans et moi tout enflée d’une énorme rage froide.

Lui (sur le ton hésitant d’un qui tâte le terrain – et le terrain, c’est moi) :

— Mom ?

Moi (n’ayant pas pipé mot depuis son arrivée, ce qui est très inhabituel et lui aura permis de prendre la mesure de mon ire) :

— Mmmmouih ?

Lui (tout désemparé) :

— Mom, écoute… Muuuuuuum, écoute, fais pas cette tête-là. Ma batterie était à plat, voilà. J’voulais pas non plus que ça prenne cette ampleur. Chuis vraiment-vraiment désolé. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? J’ai pas compté les jours, voilà.

Moi (glaciale) :

— Mmmmouih. Oh bah j’imagine bien. Moi, je les ai comptés, les jours. Les nuits aussi, d’ailleurs, je t’en remercie. Et je me suis fait un sang d’encre, une bile noire, je me suis cuit la rate au court-bouillon et arraché les cheveux. Bref, je me suis fait un souci affreux. Alors tâche, je te prie, que ça ne se reproduise pas, oki ?

Lui (un poilichou piteux) :

— …

Moi (fraîchement) :

— Et puis si tu pouvais penser de temps en temps à donner de tes nouvelles, à ton initiative, de toi-même, sur une impulsion directe et spontanée, ton père et moi apprécierions.

Lui (regard égaré, joues gonflées, soupir) :

— …

Moi (lourde* à dessein, mais parfois c’est le moment d’enfoncer le clou) :

— Cela dit, mon p’tit chéri, quand je te parle de donner de tes nouvelles, rien ne t’empêche de prendre des nôtres. Du style concerné, tu vois ? Genre : « Alors, les parents, comment allez-vous ? Papa, ton dos, c’est réparé ? Et toi, Maman, ton boulot, ça se passe comment ? Et sinon, qu’est-ce que vous avez fait de beau ces derniers temps ? Racontez-moi un peu ce que vous devenez. » Du style je-m’intéresse-aux-autres. Figure-toi que ça nous ferait plaisir !

Lui (silence vaguement embarrassé mais toujours ce sourire et cette lueur dans les yeux, aussi craquants l’un que l’autre) :

— …

Moi (lyrique) :

— Il y a deux citations qui ont énormément de valeur à mon sens. La première : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. »** La deuxième, c’est dans un roman de Sébastien Japrisot que je l’ai lue, je devais avoir treize ou quatorze ans et je me rappelle la stupeur que j’ai ressentie à lire ainsi exprimée une notion que je ressentais déjà tellement intensément : « La plus grande preuve d’amour que tu puisses donner à quelqu’un c’est ne pas vouloir que cette personne se fasse de souci pour toi. »

Lui (silencieux toujours – ah ça pour être silencieux, il était silencieux, ce garçon ) :

— …

Silencieux, oui, mais le regard droit planté dans le mien, un regard chargé d’une émotion tellement-tellement intense échangée par ce simple canal, un regard si sensible qu’aussitôt j’ai senti que je commençais à fondre.

Quand il était petit, je me le rappelle avec une précision sans faille, nous jouions à deviner ce que l’autre disait silencieusement dans sa tête et avec son coeur, simplement en nous regardant dans les yeux.
Et nous y arrivions.
Plutôt pas mal du tout, même. Ça l’amusait beaucoup ; moi j’en étais toujours comme deux ronds de flan.

Lâcher-prise ?
Quelle prise ?
La prise de courant ?
Surtout pas : le courant passe, assurément, et le courant d’amour materno-filial ne m’a jamais électrocutée !


PS d’aujourd’hui : Que de chemin parcouru depuis tout ce temps. Des progrès, tangibles, appréciés, une relation apaisée. Puis surgirent de nouvelles embûches – le mot est faible ! –, qui furent l’occasion de nouvelles over-réactions, de nouveaux consensus.

Et de l’espoir, beaucoup d’espoir. L’espoir qui tous les jours s’entretient car je ne connais pas d’autre moyen. Mais c’est une autre histoire, une tout autre histoire qu’un jour peut-être je raconterai. Peut-être.


* Lourde ou « bien relou », on me reproche souvent de l’être. Je tombe toujours de l’armoire. J’ai du mal à comprendre que les gens puissent trouver insupportable que je pose des questions. Moi j’ai besoin d’avoir tous les éléments à l’esprit pour bien saisir une situation. Je demande des précisions et l’on me trouve lourde. Ça ne date pas d’hier, j’ai l’habitude de ces réactions, pour étonnantes qu’elles me paraissent. C’est ainsi. Ce constat m’attriste, mais je ne vois pas comment me comporter autrement. Sauf à faire semblant, toujours faire semblant d’avoir compris même si ça reste vague. L’expérience m’a pourtant appris que ce n’est pas une bonne solution, qui provoque souvent des complications à n’en plus finir.

** « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour.** » Cette citation, c’est à Pierre Reverdy (1889-1960) qu’on la doit. Longtemps je l’ai attribuée, je ne saurais dire pourquoi, à Jean Cocteau.

[Crédit photo : Pixabay]

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