Comme on fait son lit on se couche
Je les aimais bien, moi, nos soirées cinénanasushi. Souvent nous zappions l’étape ciné tellement nous avions de trucs à nous raconter. Mais l’étape sushi ? ça, jamais !
La photo – je sais bien qu’elle est sombre, c’est une photo prise de nuit, comme un œil au-delà des fioritures focuse et focalise son attention sans visuelles vocalises – la photo reproduit à l’identique-tac-toc la vue que j’avais depuis la fenêtre de la chambre où je dormais ensuite.
Ce n’était pas mon lit et moi j’ai toujours mis un peu de temps pour m’endormir dans un autre lit, même et peut-être surtout si j’y suis seule. Sinon je trouve facilement ma place : bien calée.
Les odeurs jouent beaucoup. Je pourrais ne pas les supporter.
Et puis les sons aussi. J’ai adoré des couettes aux bruissements délicieux ; j’ai abhorré des draps littéralement propres mais gutturalement répugnants.
Et puis la texture. Exquise, celle du lin épais même alourdi de broderies ; atroce, celle du tissu raide d’apprêt.
Et puis la consistance du matelas. Sur le plan technique on appelle ça l’accueil ; si, si, je vous assure, l’accueil du matelas, ça ne s’invente pas !
Et plus que tout, plus que tout, mon exigence se concentre sur, ou plutôt contre, tout contre…
— Ah, toi aussi ? s’exclama Guillemette en éclatant de rire un jour où je lui racontais ces miennes réticences. Moi, c’est très simple, je ne peux pas, je ne peux pas. Mais c’est l’horreur ! Impossible de fermer l’œil. Alors au bout d’un moment, tu comprends, j’en ai eu marre, mais tellement marre de mal dormir ailleurs que, maintenant, je le trimbale partout avec moi. Quoi, qui ça ? Mais le mien. Eh bien, mon oreiller ! Enfin voyons, à quoi pensais-tu ?
Toujours-toujours je me rappelle notre fou-rire lorsque je pose ma joue sur un oreiller que je ne connais pas. Ou pas encore très bien.
Comme on fait son lit on se couche, n’est-ce pas ? Refrain connu.
À Levallois, le lit était tout contre la fenêtre, et moi je laissais le rideau entrouvert pour avoir ce coup d’œil.
Oui, celui-là même, celui de la photo.
J’adorais ce pan de ciel comme encadré, les ombres chinoises des feuilles, la grosse cheminée et son petit ramoneur de mon cœur mais ramoneur de rien du tout, peut-être là, lui aussi, dans les parages immédiats.
Et, bien sûr, cette unique fenêtre éclairée, seul point lumineux sur la façade de l’immeuble. Fenêtre studieuse, à n’en pas douter.
Qui donc au creux de la nuit si tardivement sur ses dossiers se penche, sur ses cahiers s’épanche ?
Petit ramoneur de rien du tout mais de mon cœur c’est beaucoup travaille à point d’heure à son dur labeur.
En pensant à ces vies imaginées, je m’endormais. Rarement d’un sommeil léger quand je ne suis pas chez moi. Mais c’est une autre histoire, toute mon histoire en fait.
J’ai besoin de m’habituer, moi.
Les premiers temps.
Ensuite ça va.
Ou pas.
~ Juin 2019
📷 ©Laure Chevalier Sommervogel