La queue des anges

Le carillon des anges est une tradition familiale que j’ai toujours connue à la maison.

Maman l’allumait, à l’époque de Noël bien sûr, ou même n’importe quand, lorsque nous le lui demandions. C’était en temps normal un élément de décoration : elle l’avait placé dans la bibliothèque de l’entrée, entre deux rangées de bouquins. Il était facile de l’en extraire, en faisant une attention folle, et puis de le poser avec un luxe de précautions au centre de la table. Un faux mouvement et l’échafaudage se dépichait. On le remontait tout aussi rapidement mais il importait d’accrocher les anges dans le bon sens, sinon… ils tournaient à reculons ! L’effet produit était pour le moins grotesque, on ne pouvait aaaaabsolument pas le laisser fonctionner ainsi, il fallait tout recommencer. Soupir. Alors autant y apporter la minutie voulue dès le début de l’opération.

Toute jeune déjà, je m’attachais à ce que les choses fussent faites et bien faites – vite fait, bien fait, voilà, exactement, c’est parfaitement possible, n’en déplaise à ceux qui affirment que c’est incompatible – et s’il en était autrement, je m’en trouvais… ahem… vivement contrariée. Mais c’est une autre histoire, toute mon histoire en fait.

La couleur des bougies variait, pas toujours d’une façon très heureuse. Nous en eûmes longtemps des blanches, classiques, et puis des rouges, des vertes. Ces changements de couleurs restaient dans la limite du supportable. Apparurent un jour des bougies… aheeeeem… pailletées. Elles me semblèrent tellement mochetingues que je le signalai. Ah mais, moi aussi, je savais critiquer, j’étais à bonne école !

Il me fut vertement rétorqué que je ne présiderais pas systématiquement au choix de tous les achats ultérieurs. « Tu-m’é-pui-ses et je ne te demande pas ton avis ! » Le ton était suffisamment péremptoire pour que je me le tinsse pour dit. Par la force des choses et de l’autorité supérieure, sur ce coup-là je la fermai. Je l’ouvrais déjà sur tant d’autres sujets…

Silencieuse parfois, j’observais la course des anges qui jamais ne se rattrapaient, tout en me laissant bercer au son du doux tintinnabulement.

La tradition, moi aussi je l’ai poursuivie. À leur tour mes fils se sont extasiés.
Chacun a cherché à déterminer le fonctionnement de cette apparente féerie.

L’un d’eux, quatre ans, peut-être cinq – ils étaient précoces, chacun dans son style –, après avoir très attentivement suivi le manège des anges en pleine action sur la table de la cuisine, s’exclama un beau soir :

— Ah !!! Mais voilà, ça y est, j’ai compris… ! Ça tourne à cause du vent des bougies, et ce qui fait la musique, bah… c’est la queue des anges !

Éclat de rire général. Le vent des bougies, c’était charmant. Et la queue des anges tout autant.
L’expression est restée, renversant de ce fait la controverse habituelle !

~ Décembre 2018

[Crédit image : Pinterest]