Histoires de pieds
— Je ne suuuupporte pas qu’une femme se plaigne d’avoir mal aux pieds, ou, pire encore, mal au ventre. C’est d’une totale inélégance. À fuir absolument. Je peux vous assurer qu’à l’époque où je sortais – long soupir nostalgique – avec une flopée de jeunes filles toutes plus charmantes les unes que les autres, affirmait notre père, même si nous avions dansé toute la nuit, si d’aventure l’une d’elles se laissait aller à dire cela, hop, aussitôt cataloguée mal élevée, je ne voulais plus en entendre parler.
— Même si elle était adorable ?
— Même !
— Mais enfin, quand même, Papa, même si vraiment elle te plaisait énormément ?
— Même ! décrétait-il d’un ton définitif. Il est de ces choses, tout de même, qui ne se disent pas !
Édifiée, j’avais dûment enregistré ce point et crois bien n’avoir jamais au grand jamais prononcé ces mots fatidiques devant un garçon. Moi aussi je dansais jusqu’au bout de la nuit et j’aurais souffert mille morts plutôt que d’avouer une misérable ampoule mal venue.
Après tout, des lignées de jeunes Chinoises avaient, avant moi, pour être estimées, raffinées, distinguées, serré les dents et crispé leurs doigts de pieds.
L’élégance est un must, elle a ses exigences.
Idem quand nous fûmes adolescentes, jamais devant notre père nous n’évoquâmes « nos petites histoires » ni leurs douloureuses conséquences.
Il est de ces choses, tout de même, qui ne ne disent pas.
Quant aux histoires drôles un peu olé-olé, pour reprendre sa propre expression, il fallait qu’elles fussent fines.
Et celle qui vient, sur ses deux pieds, m’est particulièrement chère car c’est la première que mon père a devant moi racontée quand il a jugé que j’avais l’âge de la comprendre.
Deux péripatéticiennes (je connaissais ce mot-là car j’avais lu Zola, ainsi m’étais-je fait une idée si ce n’est précise du moins littéraire de l’activité afférente), deux péripatéticiennes discutent sur leur bout de trottoir :
— Je suis éreintée, gémit la première, depuis le début de la soirée c’est au moins la dixième fois que je monte…
Et l’autre de compatir :
— Oh ma pauvre ! Tes pieds… ! Tes pauvres pieds… !
Cette chute en pied de nez, Papa la trouvait excellente, il s’en régalait et son rire franc et communicatif m’enchantait.
Moi aussi j’avais tellement ri la première fois que je l’avais entendue… !
De ces histoires de pieds il n’est que d’y penser pour qu’elles vous mettent en joie.
Comme les filles du même nom.
Les pauvres.
Janvier 2017
[Credit image : Pixabay]
Bonjour,
J’aime beaucoup… C’est tout en tendresse, en finesse, en élégance avec juste une pointe nostalgique. Et la jolie blague de la fin est tellement spirituelle ! Je m’en vais lire le reste de tes textes.
Bon dimanche !
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Merci, merci beaucoup ! Les tout premiers commentaires sur mes articles sont d’autant plus important pour moi. Bon dimanche à toi aussi !
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Quitte à répéter le commentaire précédent je dirai que c’est effectivement une jolie histoire pleine de nostalgie et de tendresse, et très agréable à lire.
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Merci Hugo, il est des mots qu’il n’est pas douloureux de s’entendre répéter.
😉
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