Une lettre au Père Noël ?
Écrire au Père Noël, voilà un exercice – aussi surprenant cela puisse-t-il paraître – auquel jamais de ma vie je ne me suis livrée. Et ne sont pas des carabistouilles, ce que je vous dis là.
Du côté maternel, familles du Nord et de Lorraine, d’Alsace et de Suisse si plus loin on remonte, Noël était le jour de la naissance du Petit Jésus et son arrivée dans la crèche constituait en soi le plus beau des cadeaux. Chez Nannie et Grand-Papa nous fêtions donc la Saint-Nicolas, patron des enfants, le 6 décembre. J’en ai raconté un souvenir très précis.
Du côté paternel, familles parisiennes avec un apport belge par la maman de ma grand-mère, Minet (celle des bonbons), les traditions n’étaient pas si ancrées. Les grandes personnes fêtaient Noël autour d’un réveillon accompagné des échanges de cadeaux rituels, et les petits-enfants étaient conviés à cette réunion à partir de douze ans. Plus jeunes, on nous collait tous dans le lit d’Aya et Gramp’, à côté des bébés dans leurs couffins et des plus petits dans leurs lits pliants, et nous chahutions à qui mieux-mieux. En fonction d’événements familiaux que je n’ai pas mémorisés, il est arrivé certaines années que nous restions entre nous à Noël, les grands-parents venaient alors nous voir pour l’épiphanie en nous apportant des « Étrennes », un autre nom pour les cadeaux : j’ai retenu ce mot, mais les raisons de ces changements de programmes ponctuels, je les ai oubliées.
Ce sont de beaux souvenirs pour moi qui ai ce privilège d’avoir très bien connu mes quatre grands-parents. Être l’aînée de deux parents faisant eux-mêmes partie des aînés de leur propre famille explique cela. Je partageais la très grande majorité de ces souvenirs d’enfance avec celle de mes sœurs qui venait juste après moi. En revanche, mes deux plus jeunes sœurs ont connu des environnements et des circonstances autres, des parents et des grands-parents plus vieux, aussi leurs souvenirs à elles sont-ils très différents des miens, écart d’âge oblige.
Mais je digresse, je digresse. Nous parlions lettre au Père Noël.
Chez nous jamais cela ne s’est fait. Pourquoi ? Tout simplement parce que Maman avait cette coutume en horreur. Chaque année, lorsque nous lui disions qu’en classe nos amies avaient déjà passé leur commande au Père Noël, elle levait les yeux au ciel en secouant la tête et décrétait d’un ton catégorique : « Chez nous, les enfants ne commandent pas, ils reçoivent et disent merci, pas malheureux pour autant. »
Au Père Noël je n’ai donc jamais-jamais écrit. C’est ainsi.
Il faut dire aussi que j’avais de moi-même fait la part des choses.
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Ça se passe à Saint-Martin-de-Bréhal, dans une maison que nous ont prêtée des cousins de Papa. C’est l’été parce que tous les jours nous allons sur la plage et nous nous baignons. J’adore, mais j’adore nager avec Papa – je l’ai déjà raconté dans une autre histoire. Je viens d’avoir six ans. Repère très précis : Maman attend un bébé, et c’est Sylvine qui naîtra en août – une troisième fille ! La quatrième viendra six ans après.
Et je me rappelle, je me rappelle… Guillemette est en train de faire sa sieste, je vais trouver Maman qui s’affaire dans la cuisine, son gros ventre appuyé contre l’évier, et d’une traite je lui dis : « Maman, tu sais, j’ai réfléchi et je pense que le Père Noël n’existe pas. Parce que je pense que ce n’est pas possible qu’il puisse apporter des cadeaux à tous les enfants des villes et des villages en même temps. Je pense aussi que dans sa hotte il n’y aurait pas suffisamment de place. En plus, tout le monde n’a pas de cheminée. Alors moi je crois bien que le Père Noël, en vrai, bah ce sont les parents… » et je reprends ma respiration. Parfois, quand je réfléchis ou quand je parle, j’oublie de respirer, mais c’est une autre histoire, toute mon histoire en fait.
Maman me regarde un petit moment et dans ses yeux je vois bien qu’elle m’aime et qu’en même temps je la fais rigoler, et puis elle me fait son petit sourire habituel avec juste le coin de sa bouche qui bouge, elle fait souvent ça, j’ai remarqué, et elle me répond : « Ça, ma petite chérie, c’est à ton Papa qu’il faut le demander. Tu peux aller le retrouver, il est sur la plage. »
C’est vraiment tout près : devant la maison la route n’a pas de trottoir mais je longe celle de gauche, juste à l’angle un petit chemin passe entre les jardins et tout de suite je suis sur la plage. Je sais où sera Papa. Même s’il est en train de nager, je reconnais sa serviette et je peux m’asseoir à côté en attendant qu’il revienne. Mais il est là, étendu sur le ventre, la tête à moitié enfouie dans le creux de ses bras croisés. Je cours vers lui en prenant garde de ne pas projeter de sable avec mes pieds parce que quand on est mouillé c’est très désagréable d’en recevoir sur le corps et ce n’est pas compliqué de faire attention, enfin voyons tout de même. Je m’agenouille à côté de lui et je regarde s’il dort. Je crois bien que non ; je pense qu’il m’a entendue arriver mais il garde ses yeux fermés pour voir comment je vais réagir. Comme tout à l’heure avec Maman, je lui débite d’une traite le fruit de mes réflexions.
Il lève une paupière et de son oeil bleu il me fixe un petit moment, sans rien dire, avec exactement la même expression que celle de Maman. Puis il se redresse sur ses coudes, il creuse ses fossettes et il éclate de rire. Alors moi j’insiste : « Dis-le-moi, s’il te plaît Papa, je pense que ce sont les parents, est-que c’est vrai ? » Il me fait un clin d’œil complice et me répond : « Oui, tu as raison, Laure. Bien sûr que tu as raison. C’est un secret des parents pour faire une surprise à leurs enfants. Donc n’en parle pas à ta petite sœur, laisse-la deviner toute seule quand elle en aura envie, d’accord ? » J’acquiesce très sérieusement : « Papa, tu peux compter sur moi ! »
À partir de ce jour-là j’ai l’impression d’être une espèce de petite grande personne en partie initiée aux mystères de la vie mais pas encore complètement, alors je redouble d’attention pour observer leur monde et essayer de tout comprendre. C’est drôlement compliqué parce que très souvent quand même, si je pose des questions, ils m’envoient paître, mais pas toujours, la preuve.
Cette anecdote reste un souvenir important pour moi.
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Ddddddonc aujourd’hui, si je devais écrire une lettre au Père Noël, je serais bien en peine de m’appuyer sur mon expérience passée.
C’est à mes parents qu’il faudrait que j’écrive une telle lettre. Seulement voilà, ça ne va pas être possible.
Papa s’est endormi il y a sept ans déjà dans un service de soins palliatifs. Certainement cela l’aurait amusé que je lui rappelle cette histoire-là. Je n’ai pas eu le temps de le faire, tant pis. Je lui ai dit des choses autrement plus importantes, alors qu’il était déjà sous sédatifs. Je suis la dernière à l’avoir vu vivant. Maman, qui revenait tout juste de l’hôpital, m’avait dit : « Ce n’est pas la peine que tu y ailles, ma petite chérie, il ne te reconnaîtrait même pas, c’est trop tard. » Heureusement je ne l’ai pas écoutée, elle, et je sais très bien qu’il m’a entendue, lui. Sa respiration était terrible, rauque, sifflante, douloureuse – c’est ça en fait râler, ce n’est ni rouspéter ni ronchonner, comme on a l’habitude d’utiliser ce verbe. C’est… on se sait pas ce que c’est tant qu’on ne l’a pas entendu. J’ai pris sa main et ce que je lui ai dit dans le creux de l’oreille, il l’a forcément compris puisqu’une grosse larme a glissé sous sa paupière fermée et roulé sur sa joue. Une heure après il était mort ; parti très sereinement, comme apaisé, m’ont dit par la suite les infirmières, ces anges.
Quant à Maman, ça ne va pas être possible non plus. La vieillesse ne fait qu’accentuer son tempérament habituel, elle est de plus en plus incisive dans ses réactions et ses affirmations, elle mélange beaucoup, ce qui la rend approximative, elle ne cesse de me contredire. Et moi, émoi, moi qui suis si éprise de précision, cela me heurte à un point indicible. Enfin passons. Mais surtout, ne l’oublions pas, elle abhorre les lettres au Père Noël : au fil des ans son aversion n’a fait que croître. Alors je ne vais pas lui faire ce coup-là. Le sens de l’humour s’avère parfois un peu particulier au sein de notre famille, mais là, tout de même, ce serait mal perçu venant de moi.
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Allons, allons de l’Avent, positive et rigolarde, c’est encore le masque qui me sied le mieux. J’innove et, pour la première fois de ma vie, j’écris :
Cher Père Noël,
Qui que tu sois, où que tu sois,
Au creux de mes petits souliers
Peux-tu je te prie déposer
Patience, constance, persévérance
Sans oublier, j’en ai besoin,
Une bonne dose de confiance
Et des réserves de courage.
Sois prudent pendant ton voyage,
Bises aux rennes et aux lutins
Et grand merci je te dois bien.
~ Laure – Décembre 2021
📸 Pixabay
Ah, toi … !
Moi, j’y ai cru longtemps, je pense, tant j’avais confiance en mes parents, en ma mère surtout (guerre explique pour beaucoup) …
Et nous établissions des listes sur la base de ce que nous avions pu voir dans les Grand Magasins, ou petits, je ne me souviens plus trop … et dans l’ordre de nos préférences …
Mais souvent, du fait de la guerre, justement, ce que nous recevions n’étaient pas forcément en adéquation avec nos souhaits …
Cependant, je ne me souviens pas d’avoir été jamais vraiment déçu ..
D’abord, il y avait la crèche, l’arbre, les petits souliers, bien apprêtés pour l’occasion … La joie de tous, les embrassades, la Dinde (?) …
Bref, un très beau jour !!
En tout cas, comme c’est bientôt Noël ! Je te souhaite un excellent réveillon et de jolis cadeaux sous le sapin, adulte sûrement mais qui n’attend pas toujours le cadeau au pied du sapin … A moins que tu zappes pour reporter au Nouvel An, ou les deux !!! 😉
Amitiés …
Philippe
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Merci Philippe pour ce témoignage et belles fêtes de Noël à toi aussi !
🌟
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