Dans mes yeux
L’infini, dit-il.
C’est vaste, l’infini. Mais c’est vague aussi. Peut-être y a-t-il des vagues dans l’infini.
Et de l’écume alors ? Ah non, pas d’écume, c’est comme la fumée, ça pique. Et l’alarme à l’œil, merci bien, si je commence je ne m’arrête plus.
Je ne sais jamais vraiment ce qu’il voit dans mes yeux.
Parfois il me regarde, longtemps, longtemps, avec un air, mais un air, je ne saurais pas comment vous dire. Un drôle d’air, quoi.
Alors je le regarde aussi. Sérieusement. Enfin j’essaie, parce que j’ai tout le temps envie de rire, moi. Ou de pleurer – enfin bon, ça dépend des moments, pas toujours tout le temps non plus, quand même.
Donc je le regarde. Mais au bout d’un moment je me mets à rigoler. Comme à la barbichette sans les grimaces, quoi. C’est ça qui m’agace : retenir mon sérieux m’est difficile, j’ai beau m’accrocher, il m’échappe.
Et il me dit : voilà, tu vois, voilà, c’est pile ce moment-là que je préfère dans tes yeux, quand s’allument les paillettes du rire, du rire ou du plaisir.
Les paillettes du rire, je répète, mais tu plaisantes ? Et du plaisir ? Et puis quoi encore ? Alors on se balade, je te dis que je voudrais une bonne glace, tu dis oui, et allez hop, flash-flash, tu les vois, mes paillettes du plaisir ? Tu parles !
Mais précisément, répond-il, et tu peux bien rire, c’est justement ça, ce que j’aime regarder dans tes yeux.
Je ne sais jamais vraiment-vraiment ce qu’il voit dans mes yeux.
Un monde en construction, il m’a sorti un jour. Enfin, c’était un soir, en réalité, mais qu’importe.
Un monde en construction, rien que ça ? Je ne te l’envoie pas dire.
J’ai aussitôt vu défiler la frise du temps, je crois que ça m’a donné le tournis.
Tiens d’ailleurs, à propos de temps, souvent il dit que dans mes yeux il voit tous les reflets du temps.
C’est bien malin. Forcément, comme le temps, ils ne sont pas tout le temps de la même couleur, mes yeux, puisqu’ils sont gris.
Comment ça, gris souris ? Mais non, enfin, voyons. Et je souris si je veux, je te signale.
Les reflets du temps, c’est ridicule. Bleu azur, j’aurais du mal. Noir d’orage, même en me forçant, je n’y arriverais pas. Et la neige alors, tu parles d’un reflet si c’est pour faire des yeux blancs.
Voilà que je le fais rigoler – c’est toujours mieux que de le faire pleurer, vous me direz.
Je ne sais jamais vraiment très exactement ce qu’il voit dans mes yeux.
D’ailleurs je ne suis pas loin de me demander s’il ne se fiche pas de moi, au passage.
Si cela se trouve, c’est bien le cas et moi je suis l’idiote qui ne s’en rend même pas compte.
Et le voilà qui passe son index tout au long de ma lèvre et qui continue : je regarde tes yeux et je vois le temps.
Oui, le temps, tu me l’as déjà dit.
Cesse de râler et écoute-moi. Son index glisse sur ma joue et remonte jusqu’à ma tempe : je vois le temps, le temps qui passe.
Le temps qui passe ? Eh bien merci, merci beaucoup. Demain je balance ma crème contour de l’œil. Pour le prix qu’elle me coûte, tu parles d’une efficacité.
Il s’esclaffe et me scrute, en enroulant lentement une de mes bouclettes au bout du même doigt.
Moque-toi, moque-toi, je ne me savais pas si drôle.
Et lui poursuit : pourtant, je t’assure, je regarde tes yeux et je vois le temps, le temps qu’il fait dans ton âme.
Le temps qu’il fait dans mon âme ? Eh bien dis-moi, et avec ça, faut-il vous l’emballer ?
Mais quelle histoire… toute mon histoire en fait.
Beau parleur, va.
Je le précise tout de suite pour que vous n’alliez pas vous imaginer des choses qui ne sont pas : mes yeux sont tout ce qu’il y a de plus normaux.
Rien d’extraordinaires, même pas bleus, même pas verts, même pas pers, ils n’offrent pas non plus cet anneau plus foncé sur le pourtour de l’iris qui rend certains yeux clairs si attrayants. Ils présentent tout simplement un mélange de couleurs complexes.
C’est ce qu’on appelle communément des yeux changeants…
Mon oeil.
Comment ça, mon oeil ? Mais si, enfin ! C’est bien le mien.
Juillet 2018
[Crédit photos : Laure Chevalier Sommervogel]
C’est beau le regard de l’amour ! Il faut le croire et accepter ce qu’il y voit .
Petite veinarde ! 🙂
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Merciiii ! Je ne vais certes pas m’en plaindre… ☀️
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