Les Sansevieria

Les Sansevieria

Je me rappelle tout de cette matinée-là et le moment même où la photo a été prise, dans le salon de cet appartement.

Je me rappelle la façon dont nous étions coiffées et habillées. Nos deux robes de tissu bleu clair un peu rêche – « Ça gratte, mais si, oooh je te dis que ça gratte, oui, ça me gratte, là, dans mon cou, je te dis que ça me gratte, non, je ne fais pas des manières, je te dis juste que ça me gratte, rhooo mais que c’est agaçant à la fin, tu ne me crois jamais-jamais ! »

Je me rappelle nos médailles bien en place ; on ne les voit pas sur cette photo mais je sais qu’elles sont là, je me rappelle, quand même.

Et nos gants élégants, blancs les gants.

Mais surtout, surtout, je n’ai pas oublié la chaleur de cette petite main bien logée dans la mienne.

Guillemette était toute douce et blonde et ronde. Et des manières, elle n’en faisait jamais, elle. Jamais-jamais. Et moi, émoi, quand j’étais triste – ça arrivait – elle me consolait. Toujours-toujours. Et réciproquement. Et même après.

Oh, ça a duré longtemps, ce soutien mutuel.

Maintenant, quand je suis triste – ça arrive – il faut que je me débrouille toute seule. Forcément, eux, ils en ont un peu marre, c’est normal. Alors je pense à elle, très fort, et à mon oreille j’entends sa voix : « C’est ainsi, c’est la vie, souris ouistiti ! »

~•~

Oui, je me rappelle tout de cette matinée-là et le moment même où la photo a été prise, dans le salon de cet appartement.

Je me souviens des préparatifs qui avaient précédé. Maman avait rigolé en me coiffant et soupiré qu’il n’y avait décidément pas moyen de faire tenir mes cheveux en place : « Ah lala, et pas que tes cheveux d’ailleurs. » Mais elle avait ajouté qu’ils sentaient bon le tilleul, toujours-toujours, mes cheveux à moi. Et c’était dit avec beaucoup de tendresse.

Je me rappelle tout, et aussi l’armoire avec les décors de serrures dont j’ai toujours pensé qu’ils ressemblaient à des coqs en colère.

Ensuite, quand les parents ont acheté la maison de Lannemartin, ce meuble imposant a immédiatement trouvé sa place dans la salle à manger, de l’autre côté du vaisselier qu’ils avaient chiné lors d’une vente aux enchères : elle se tenait, le jour-même de la signature et de la remise des clés, dans la cour d’une ferme voisine.

Ces deux meubles emblématiques d’une aussi belle pièce, avec le pétrin, vivent aujourd’hui dans un décor différent… Mais c’est une autre histoire, toute mon histoire en fait.

~•~

Oh oui, je me rappelle tout de cette matinée-là et le moment même où la photo a été prise, dans le salon de cet appartement.

Je me souviens de la Sansevieria qui poussait derrière nous dans le porte-plantes en rotin.

Par la suite, Maman placerait ses plantations dans le berceau en bois. « C’est une façon de mettre en valeur de jolis meubles anciens que de les détourner de leur usage premier », disait-elle.

Mais cette année-là, un bébé l’occupait.

Je parle du berceau.

🌿

Depuis longtemps je les aime, les Sansevieria.

🌿

La plus belle, celle à laquelle je tiens le plus, je l’avais choisie pour un appartement que nous avons occupé en transition entre deux maisons, un appart’ où nos trois fils ont ensuite été colocataires avant de s’orienter chacun vers des destinations et destinées différentes.

C’est une rescapée de chez l’un d’eux.

Le garçon – mon benjamin préféré – et la Sansevieria, je les avais récupérés en aussi mauvais état l’un que l’autre.

Presque subclaquants.

À force de bons soins, avec un mix d’attentions, d’exigence et d’échanges de bonnes énergies, le premier est bien reparti, pour quelques belles années. Puis, encore longtemps après, il est revenu avec… avec un crabe dans le crâne. Et maintenant, il est parti-parti – lui aussi, comme ma Guillemette – dans cet ailleurs qui n’est jamais qu’une autre dimension ; ils vivent désormais au plus doux du creux de mon coeur !

Quant à la deuxième, la belle plante, elle est restée chez nous où elle continue à prospérer. Elle est devenue énoOorme !!

~ Texte écrit en février 2018, retravaillé en février 2023 après le décès de mon benjamin préféré

🧡💚🧡

Illustration : Carl Larsson (Suède, 1853-1919)

📷 @LaureChevalierSommervogel

7 réflexions sur “Les Sansevieria

    • C’est curieux… j’indique dans ce texte que je viens de perdre mon troisième fils, d’une tumeur cérébrale, et je suis questionnée sur la fleur de la Sansevieria…
      Décidément jamais je ne m’habituerai à cet écart si fréquent, ce décalage, dû aux différents niveaux de lecture.

      J’aime

      • Les réactions sont surprenantes parce qu’on ignore le chemin qu’a pris une information dans l’esprit d’autrui, comme on peut ignorer par quelle force une mère, venant de perdre son benjamin , peut venir retravailler un texte de son blog.
        Pour ma part je le perçois comme un besoin d’exprimer sa douleur, dont cette Sansevieria est témoin en tant que compagne de toute une vie.
        Je vous adresse mes très sincères condoléances, avec toute ma sympathie .

        Aimé par 1 personne

      • Merci beaucoup pour ce message, Jacqueline. Je ne suis pas venue exprès retravailler ce texte. Il se trouve que je partage mes minizécrits sur mes pages Facebook et ce texte est remonté hier dans mes souvenirs — un texte où j’évoquais mon fils, mon benjamin, qui est mort il y a bientôt trois semaines. Je suis toujours très attentive aux synchronicités de ce style. C’est pour moi une forme de signe. Alors, effectivement, j’ai retravaillé mon texte pour l’actualiser. L’écriture est pour moi le meilleur des exutoires. J’écris les mots, les maux-sillons.
        Merci encore pour ton attention. ☀️

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