Tu as fait la guerre, toi ?
Un de mes fils, six ou sept ans, rentre juste de classe.
À ma sœur venue passer la journée avec nous, il s’adresse, l’air tout à fait innocent :
— Dis, Sylvine, il y a une chose que je voudrais te demander.
Ma sœur, attentive :
— Ah oui ? Et quoi ça ?
Lui, toujours sur le ton le plus candide qu’il soit :
— Je voudrais savoir si tu as fait la guerre, toi ?
Ma sœur émet un petit rire amusé et lui répond comme s’il lui avait demandé si elle avait connu les dinosaures :
— Mais non, voyons, bien sûr que non. Je ne suis pas assez vieille, tu sais, pour avoir fait la guerre.
Et lui, aussi triomphal que malicieux, de rétorquer :
— Ah bon, t’as pas fait la guerre ? Maizalors, si t’as pas fait la guerre, pourquoi t’as un trou de balle ?
Ma sœur – je vois encore sa tête – en est restée comme deux ronds de flan. Elle l’a regardé, interloquée, puis tous ensemble nous sommes partis d’un magistral éclat de rire.
Et cette espèce de chenapan était content, mais content, absolument ravi de son petit effet.
Je lui ai tout de même conseillé de ne pas s’y risquer avec son grand-père : lui l’ayant faite, la guerre – d’Algérie –, il risquait de la trouver moins drôle, la blague du trou de balle.
Encore que, sait-on jamais, en fonction de l’humeur du jour, difficile à prévoir toujours, il aurait été bien capable de se poiler, lui aussi.
Me revient à l’esprit une autre histoire à propos d’une réaction inattendue, avec les mêmes protagonistes ou presque… quelques années auparavant…
Mon fils, toujours le même, en pleine discussion avec son cousin. Ils ont trois semaines d’écart et, lors de cette anecdote, ils avaient quatre ans, cinq peut-être. Tous les deux seuls dans la salle à manger de Lannemartin, ils s’occupent à je-ne-sais-quoi, petites voitures ou jeu de construction. Et moi, depuis la cuisine, je ne perds pas une miette de leur conversation. Super sérieusement, mon fils interroge son cousin :
— Dis, tu trouves pas, toi, que Grand-Père il est vieux ?
— Ah oui, ça c’est vrai. Moi aussi j’trouve qu’il est vieux. Très-très-très vieux, même. Mais j’te préviens tout de suite : t’as pas intérêt à lui dire, sinon t’sais c’qu’y t’répondra ?
— Bah non. Et c’est quoi alors, c’qu’y m’répondra ?
— Hé bé moi j’peux t’dire qu’y t’dira : « Petit cccccon ! »
Là, j’avoue que j’ai pouffé de rire à imaginer la tête de Papa, vexé comme un pou par la question de son petit-fils et ne trouvant rien de mieux à faire qu’à lui souffler la fumée de son cigare dans le nez en laissant tomber cette réponse laconique.
Bon, effectivement, ça n’était pas à proprement parler follement drôle, mais ça m’a fait rigoler quand même.
Oui, je l’avoue, je l’avoue : j’étais pliée.
Rhooo, quand je pppppense aujourd’hui qu’il n’avait même pas encore soixante ans à l’époque.
Pauv’Papa… !
[Credit image : Laure Chevalier Sommervogel — Pour tout vous dire je ne savais pas trop quoi mettre comme illustration… 😂 ]