C’est mathématique

C’est mathématique…
Souvent la même complainte revient, sur tous les tons chantée.

Maman me disait – était-ce l’été dernier ? celui d’avant peut-être ? … depuis quelque temps je réalise que je perds complètement la notion de celui qui passe – ma Môman me disait :
— Tu vois, ma chérie, c’est terrible, c’est même épooooouvantable : je vieillis.
— Oh, Maman, Maman ! Vraiment, tu sais, je ne trouve pas, tu tiens une forme du tonnerre.
— Mais enfin tout de même, il faut bien que vous vous rendiez compte, tes sœurs et toi, que je vais bientôt avoir quatre-vingts ans !
— Pas encore, Maman, pas encore. Nous avons le temps.
— Mais si, bien sûr que si. Je te signale que trrrrrès bientôt j’entrerai dans ma quatre-vingtième année. Que veux-tu que je te dise… c’est mathématique !

C’est mathématique ? Et moi je compte et je recompte dans ma tête.

Nous avons vingt ans d’écart, donc… c’est mathématique peut-être mais ça n’est pas possible, non, ça n’est pas possible, je n’ai jamais su calculer mais même en m’y reprenant à plusieurs fois, ça n’est tout bonnement pas possible.
Pas encore.
Pas tout de suite.
Je me rappelle très bien que j’ai eu cinquante ans. Oui, ça m’est arrivé comme ça, sans prévenir, presque par inadvertance.
Ça m’avait fichu un coup, d’ailleurs. Et c’était… avant-hier, non ?
ooooh, peut-être avant -avant-hier…

Cinquante ans, c’est un âge de dame.
Une dame, moi ? Non mais vous rigolez ?

Et maintenant, enfin maintenant… disons plutôt un de ces jours… ça va m’arriver, ça va m’arriver, ça me pend au nez… j’aurai soixante ans ?
Hhhan, mais soixante ans, c’est carrément, sérieusement, absolument un âge de dame.

C’est effarant.
D’ailleurs j’en suis tout époufarée.

Mais non, mais non voyons, je n’y suis pas. En réalité, je pense que ça n’arrivera pas. Pas à moi.

C’est vrai, ne l’oublions jamais, Maman est la reine de l’approximation : elle rallonge ou raccourcit, arrange et modifie tout à son idée, tellement affirmative que toujours je la crois.

C’est ma croix.
Car moi… j’aimeuh l’exactitude et la pré-ci-si-yon. Précis sillon comme le sont les rides. Rides qu’elle a depuis longtemps et moi, émoi, depuis… depuis quelque temps. Pas forcément les mêmes, d’ailleurs. On se ressemble mais on n’est pas pareilles.
Et cette année je sais très bien que j’aurai, j’aurai – enfin j’ai eu, mais qu’importe –, je continuerai encore et toujours à avoir… t’huit ans !!
Voilà, c’est ça : en fait j’ai t’huit ans depuis déjà quelques dizaines d’années. Oui, c’est bien ça : plusieurs fois sur mes doigts il m’a fallu le recompter.
Et je ne date pas mon texte ! Na ! (… mais quelle gamine…)

📷 Pixabay

6 réflexions sur “C’est mathématique

  1. Joliment dit. Et je me dis aussi que si je suis là, à lire ce texte, c’est forcément parce que je me sens concernée…mais mieux vaut ne pas trop y penser . Cela risquerait d’aggraver mon arthrose (ben oui si je prends mes jambes mon cou). Je préfère rester sur l’idée que je ne suis qu’une enfant qui a vieilli. Bises amicales Laure. Et ne t’en fais pas, tu es fraîche comme une rose

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