Rancunière, moi ? Pas du tout !
Vous savez, parfois on vous pose « de d’ces » questions. L’autre jour un ami demande :
— Que vous manque-t-il pour être une personne meilleure ? Qu’importe le domaine.
Qu’importe le domaine ?
Domaines, propriétés, défauts, qualités… ce que j’en sais, moi…
Sans trop me creuser la tête, et puis parce que j’aime tellement rigoler, ça j’ai du mal à m’en empêcher, quelles que soient les circonstances et d’ailleurs parfois c’est gênant parce que figurez-vous que… Stop ! Hors sujet ! … où en étais-je ? Ah oui. Sans trop me creuser la tête, disais-je, j’ai répondu vite fait bien fait :
— Pour être une personne meilleure, il me manque, c’est tout vu : confiance, patience, constance, assurance, endurance et persévérance… cherchez l’intrus !!
En même temps, je faisais mon examen de conscience. Oui, parce que je réponds vite, souvent : ce que je dis, je le pense, et ce que je pense, je le dis, mais l’air de rien in petto en moi-même et dans mon for très intérieur je continue à réfléchir à la question. Alors je me demandais si une personne meilleure, je saurais vraiment l’être.
Réglo, ça oui, je suis quelqu’un de réglo.
Trop parfois, même. Beaucoup trop.
Mais ce sont d’autres histoires, toute mes histoires en fait.
Et alors, au moment où je m’y attendais le moins, dans un coin de ma caboche, paf, y’a rancunière qui sort comme ça, d’un seul coup d’un seul.
Mais pourquoi rancunière ?
Oui, pourquoi donc ?
Parce que je ne suis pas rancunière, moi.
Pas du tout.
Non, absolument pas.
M’enfin tout de même, je peux vous dire qu’il y en a une, je ne suis pas près de l’oublier ni prête à l’oublier, c’est Anne-Élisabeth de Broglie* qui, à Sainte-Marie dans la chapelle du Grand Collège, m’a flanqué un coup de pied avec le bout de sa chaussure vernie, juste dans le creux poplité – vous savez, c’est ce nom délicat que l’on donne au pli de l’arrière du genou – là où ça fait abominablement mal, alors qu’en file recueilli-iheuh nous avancions paisiblement vers l’autel et vers notre première communion, et moi, émoi, en plus, je ne lui avais rien fait, mais rien du tout de rien du tout, je le jure. On ne dit pas je vous jure, on dit je vous assure, oui, je sais mais je m’en fiche, je dis ce que je veux quand même.
Cette Anne-Élisabeth de Broglie… J’étais juste devant elle. Parce que c’était comme ça. C’est ainsi qu’on nous avait placées. Ça n’était pas moi qui étais passée la première. Non, non, je ne l’avais pas bousculée ni rien de rien. Et elle, paf, elle me flanque ce coup de pied. Je ne sais absolument pas ce qu’il lui a pris.
J’étais complètement déconcertée, et horrifiée, oui, horrifiée surtout parce que, dites donc, on venait de se confesser ! Alors moi je faisais une attention folle à ne pas faire de péché, en-pensée-en-parole-par-action-et-par-émission.
Pécher par émission… là j’avoue, je n’avais pas très bien compris de quoi il retournait.
Pécher en action : pas compliqué, fallait se gaffer et rrrrreufleuchirrrr avant d’agirrrr.
Pécher en parole : ne pas mentir – de toute façon j’ai toujours trouvé que ça ne sert à rien de mentir. Et tenir sa langue, rien d’insurmontable… encore que… enfin bref.
Quant à pécher en pensée… alors là c’était terrible. Terrible-terrible-terrible. Car voilà, mes pensées, je ne savais pas du tout du tout du tout comment les tenir.
Les retenir encore moins.
Et Maman qui disait tout le temps : « On lit en toi si facilement, ma chérie. »
Quand j’étais petite, et même adolescente – et, ahem… je dois à la vérité de reconnaître qu’on le souligne encore – Maman, comme beaucoup d’autres personnes de mon entourage proche, avait coutume de dire à qui voulait l’entendre qu’on lisait en moi à livre ouvert et qu’il suffisait de me regarder pour savoir ce que je pensais.
Je m’en trouvais plongée dans des affres inouïes car souvent j’avais des pensées, des pensées dont – ahem… bis repetita non placent – je n’avais pas tellement envie qu’aussi aisément elles se lussent sur mon front ou tout au fond de mes yeux gris-vert.
Toutefois je n’imaginais pas avancer dans le monde le visage fermé et les yeux tout autant.
J’ai donc toujours et en tout lieu préféré la transparence. Sachant qu’il arrive que l’eau se trouble. À bon regardeur, salut !
Fin de l’aparté.
Ddddonc, pour en revenir à Anne-Élisabeth de Broglie, nous étions en 10e – ça fait quoi, ça : le CE1 ? – eh bien, je peux vous assurer que celle-là, comme peste, elle se posait un peu là.
Et si je la croise aujourd’hui, je ne le lui enverrai pas dire.
Croix de bois croix de fer, si je mens je vais en enfer, et j’vous jure qu’elle l’emportera pas au paradis.
Je ne suis absolument pas rancunière, non, absolument pas, mais ce genre de truc, je n’oublie pas.
Surtout qu’en plus, et c’est vrai, mais vrai de vrai sinon je le dirais, je ne lui avais rien fait. Mais rien de rien de rien du tout.
Je me demande encore ce qu’il lui a pris.
Enfin quoi, tout de même pas la danse de Saint Guy !
* Est-il besoin de préciser que j’ai changé le nom de famille ? Et pour faire bonne mesure, j’ai également changé le prénom.
Mai 2018
[Credit image : merci. facteur. com]
Bonjour Laure,
La rancune, je ne sais même pas ce que c’est…. mais bon, le pardon, j’ai bien du mal et en plus j’ai une mémoire d’éléphant ! Ton texte m’a fait sourire et en même temps, il fait écho en moi. Ne sommes-nous pas tous un peu rancuniers dans le fond ? Belle et douce journée
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