Les dahlias d’Aya

Les dahlias d’Aya

Guillemette et moi, rue Gay-Lussac chez nos grands-parents, passions des heures à découper les fleurs dans les catalogues de graines qu’Aya recevait. C’était l’occupation favorite des après-midis pluvieux, lorsque Gramp’ ne pouvait nous emmener faire la rituelle balade au jardin du Luxembourg pour admirer les statues des reines, autour du bassin.

Les dahlias étaient particulièrement intéressants, sur le papier et in situ.
C’étaient les fleurs préférées d’Aya, elle raffolait de leur diversité et en emplissait le jardin de Pourgent.
Un jour, paraît-il, une terrible tempête avait tout fichu par terre.
« Maman était navrée au point qu’elle en avait pleuré », m’avait plus tard raconté une de mes tantes. J’avais été impressionnée, le cœur serré de penser à la déconvenue de ma grand-mère en larmes. Pauvre Aya qui déployait tant d’efforts tout au long de l’année pour ses somptueux parterres de dahlias.

À l’automne déterrer les tubercules, les entreposer l’hiver à la cave – cette fameuse cave – dans des cageots bien espacés, avec des étiquettes pour s’y retrouver car rien ne ressemble davantage à un tubercule qu’un autre tubercule. Au printemps venu, les replanter. Et puis tout l’été jusqu’à l’automne, les entretenir attentivement en coupant régulièrement les fleurs fanées. Ce boulot, je vous laisse imaginer…

Mais ces couleurs et ces formes si variées ! Aya n’en finissait pas de s’exclamer.
Et les bouquets ! Ardente splendeur de ces fleurs si colorées, rapportées à Paris roulées dans un papier journal sur la lunette arrière de l’automobile des parents.
Automobile, est-ce un terme que l’on emploie encore aujourd’hui ?
Enfin passons, roulons plutôt.
Et sans klaxonner… qu’est-ce que c’est que ces façons ?

La cave de Pourgent.
Des tonnes de légendes autour de cette cave, comme de toute la région, d’ailleurs. Époque des Templiers, des galeries creusées et des châteaux reliés. L’une d’elles partait depuis le fond de ladite cave pour aboutir, à quelques kilomètres de là, dans la forêt de Longchauvet. Il était absolument hors de question de s’y aventurer, du reste l’entrée en était plus ou moins obturée. Papa pourtant nous racontait quelques excursions, parfois, dans sa jeunesse et nous l’écoutions, sidérées à l’idée qu’il ait ainsi bravé l’interdit.

Située à quelques mètres de la maison, on accédait à cette sombre cave, humide et froide, en descendant prudemment les degrés moussus d’un vieil escalier de pierres. Il fallait donner un bon coup d’épaule pour ouvrir l’épaisse porte dont le bois jouait.
Un interrupteur muni d’un voyant lumineux, placé dans la maison près de la sortie de la cuisine, permettait d’allumer une ampoule éclairant chichement la voûte antique et les étagères placée de part et d’autre le long des murs contre lesquels nos ombres s’allongeaient, immenses. Immédiatement à gauche en entrant, un grand seau de fer blanc recueillait le goutte à goutte d’un robinet. Il abritait aussi une salamandre. Et moi, émoi, je l’avais déjà vue, elle était noire et orange, du genre impressionnant. J’espérais qu’elle n’allait pas grandir. Je l’ai pourtant retrouvée dans mes cauchemars. C’est curieux comme des détails de ce style restent en mémoire.

Je ne l’aimais pas tellement, cette cave, bien que jamais au grand jamais on n’ait menacé de m’y enfermer. Je ne crois pas y être allée seule. Pas avant d’être adolescente en tous cas, et encore, aussi peu encline à y entrer que pressée d’en sortir. C’est qu’il s’y trouvait un gros rat, nous racontait Gramp’, certainement pour nous dissuader de pousser par-là nos explorations. Je ne l’avais jamais vu, mais la trouille que j’en avais, je vous laisse la concevoir. Le gros rat, évidemment. Mon Gramp’, lui, était adorable. Et en plus il m’adorait.

Mais c’est une autre histoire, toute mon histoire en fait. Aujourd’hui, c’est celle des fleurs découpées que je raconte.

Moi j’ai toujours préféré les iris, en terre comme de papier, plus difficiles encore à détourer. Guillemette s’appliquait en tirant la langue, on voyait bien les efforts qu’elle déployait mais elle ne réussissait pas les angles aussi bien que moi. C’est normal, elle était petite.

Car, bien sûr, le challenge était de dégager la fleur du papier sans une seule fois lâcher le pourtour.

Interdit d’utiliser les ciseaux à couture, ici comme à la maison. « Ceux-là sont pour le tissu et uniquement pour le tissu sinon ils ne coupent plus aussi bien, je compte sur vous pour ne pas y toucher. » Nous étions des petites filles obéissantes. C’est du moins le souvenir que j’en ai.

L’élégante paire de ciseaux qui trônait sur le bureau de Gramp’ avec son ouvre-lettres assorti ne convenait pas pour ce découpage de précision. « On dit une paire de ciseaux, m’avait-il appris. Au singulier le mot désigne un outil d’ébénisterie. »

Paire ou pas, pour cette activité ses ciseaux à ongles étaient bien plus pratiques et il me les confiait volontiers. À Guillemette était dévolue une paire classique, aux bouts arrondis. Et moi je préférais ceux que j’utilisais, bien pointus, avec des lames incurvées.

Après le découpage venait l’étape collage, avec ces petits pots de colle blanche qui sentaient bon l’amande. Sur des feuilles de papier Canson dont je choisissais soigneusement la couleur je créais de splendides bouquets d’une folle exubérance.

Les grandes personnes s’extasiaient, je rayonnais et Aya déclarait fièrement : « Cette enfant sera directement admise aux Arts Déco ! »
La tête qu’elle a faite lorsque je suis entrée chez Gaumont… Mais c’est encore une autre histoire, toute mon histoire en fait.

[Crédit photo : Pixabay]

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